Regards littéraires
Le développement, à partir du XVIIIe siècle, de Nice en tant que ville de villégiature d’hiver de riviera, a suscité dès l’origine une très nombreuse littérature, phénomène qui perdure aujourd’hui. Une bonne partie de ces textes ont été repérés et étudiés dans le cadre de l’élaboration du dossier de candidature en vue de l’inscription de Nice sur la Liste du patrimoine mondial. Il nous a paru intéressant de partager les résultats de ce travail en mettant des extraits de ces écrits à la disposition du public par l’intermédiaire de notre site internet.
Ces textes sont d’une assez grande hétérogénéité : d’abord souvenirs de voyage, souvent sous forme de lettres, prenant parfois des allures de guide touristique, rapports administratifs… ils se sont enrichis au fil des siècles de textes plus littéraires, articles de journaux, essais, romans, journaux intimes ou correspondances…Les auteurs sont également très divers, certains sont très peu connus mais on y trouve aussi les grands noms de la littérature française et internationale.
Les textes sont regroupés selon un ordre chronologique, par siècle, du XVIIIe au XXIe siècles. Il existe bien sûr des écrits sur Nice datant d’avant le XVIIIe siècle, mais nous nous sommes limités à la période qui débute avec les premières formes de la villégiature, qu’on peut situer à Nice autour de 1760.
À chaque siècle, correspond une liste d’auteurs, classés par ordre alphabétique. Outre une notice sur chaque auteur, les extraits de leurs écrits sont présentés en deux rubriques : quelques courtes citations en première approche, à quoi s’ajoute la possibilité d’accéder à un deuxième espace, comprenant des extraits plus longs et plus nombreux.
Cette sélection n’a pas la prétention d’être exhaustive et nous serions reconnaissants aux internautes qui pourraient nous signaler d’autres auteurs dont l’existence nous aurait échappée. Leurs écrits, dès lors qu’ils seraient pertinents par rapport à notre projet, pourraient être intégrés au site, avec la mention du nom – s’il le souhaite – de l’internaute qui nous aurait adressé le signalement.
Enfin, cette anthologie n'aurait pas été aussi complète sans les indications données de façon bénévole par M. Hervé Barelli, M. Vilmos Bardosi, M. Jean-Paul Potron et M. Ralph Schor.
Bonne lecture !
XVIIIe siècle
La ville de Nice est la capitale du Comté et le siège du Sénat, de l’Évêché et du Gouvernement : elle est devenue depuis quelques années un séjour de délices par le nombre des Étrangers qui s’y rassemblent dans l’hiver, fait pour y rétablir leur santé, comme pour y jouir de la douceur de son climat et de la beauté de ses campagnes, qui font toujours l’image d’un printemps délicieux. Il y a peu de Voyageurs qui aillent en Italie sans voir premièrement cette province justement célèbre.
Voyage historique et pittoresque du Comté de Nice (1787)
Né à Chambéry, alors ville du royaume de Piémont-Sardaigne, Jean-François Albanis Beaumont a étudié à Chambéry, puis à l’École royale du génie de Mézières. Il se met ensuite au service du Piémont-Sardaigne et travaille au côté de Jean-François Michaud, ingénieur en chef du Comté de Nice.
Après avoir accompagné le duc de Gloucester dans son « Grand Tour » en Italie, Allemagne, France et Suisse, il devient précepteur des enfants du duc. Il s’installe par la suite à Genève.
Il a publié plusieurs albums illustrant ses voyages, qui contiennent à la fois des textes et des illustrations, dont un « Voyage historique et pittoresque du Comté de Nice » édité à Genève en 1787.
Jean-François ALBANIS BEAUMONT, Voyage historique et pittoresque, 1787, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
La ville est située sur le rivage de la mer, et adossée à un rocher entièrement isolé sur lequel était autrefois un château très estimé par la position, comme vous jugerez en examinant le plan. Il fut détruit en 1706 par le maréchal de Berwick. La garnison étant trop faible pour défendre l’étendue de ses ouvrages.
Clément ROASSAL, Vue de la rue Saint-François-de-Paule et du Théâtre, 1828-1832, Nice, Musée Masséna
On distingue en ce moment la vieille ville et la ville neuve : cette dernière est tirée au cordeau ; les maisons en sont bien bâties et les rues très larges : elle s’étende le long de la mer et est terminée d’un côté par une charmante terrasse qui sert de promenade ; on peut voir de cet endroit les montagnes de Corse, au lever du soleil : il y a au bas de cette terrasse une autre promenade publique, bordée d’une large allée d’arbres, et de l’autre côté par le torrent du Paillon. La ville vieille est à la vérité plus peuplée, mais aussi les rues en sont très étroites et les maisons mal bâties ; les Étrangers ne s’y logent jamais, ou bien rarement : cette partie de la ville forme un amphithéâtre sur la pente du rocher où était bâti le château, et qui séparait autrefois la ville du port Lympia.
L’Édit du Roi de 1749, qui a établit la franchise de ce port, a contribué beaucoup à augmenter la population de la ville : tout le monde peut y vivre tranquillement, sans crainte d’être inquiété sur sa croyance, pourvu que l’on ne cause point de scandale. La ville a trois faubourgs, 1°) celui de Saint-Jean qui conduit à Cimiez, à Saint Pons et Saint-André : les promenades de ces côtés-là sont charmantes ; on peut en jouir en voiture. 2°) celui de la Poudrière. 3°) celui de la Croix de marbre : ce faubourg est nouveau ; les Anglais se logent tous ordinairement dans ce dernier, étant très près de la ville ; les maisons en sont neuves et commodes, ayant vue d’un côté sur la grande route qui conduit en France, et de l’autre sur un beau jardin et sur la mer. Ce faubourg se nomme présentement New-Borough : toutes les maisons sont indépendantes les unes des autres, on les loue pour la saison, c’est-à-dire, depuis octobre jusqu’en mai : on peut y trouver des appartements depuis quinze louis jusqu’à deux cent cinquante ; les propriétaires fournissent ordinairement le linge et l’argenterie, sans compter tous les meubles nécessaires.
Il y a aussi dans la ville neuve des maisons très vastes et très commodes, de même que sur le chemin neuf que l’on a pratiqué depuis la ville pour aller au port, en coupant la partie du rocher qui tombait dans la mer : cette position est délicieuse, et la plus chaude en hiver, étant entièrement à l’abri du vent du Nord et tout à fait exposée au Midi.
Nice n’est plus fortifiée depuis la démolition de son château, étant d’ailleurs commandée par plusieurs petites collines dont elle peut aisément être battue.
Jean-François ALBANIS BEAUMONT, Côte de Nice depuis Magnan, Voyage historique et pittoresque, 1787, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
Il y a cependant le château du Mont-Alban, petite forteresse qui est sur la montagne qui porte son nom ; elle est aussi une prison d’État : elle commande le port de Nice et celui de Villefranche. Les personnes qui ont vu cette ville il y a vingt ans ne pourraient presque pas la reconnaître, tant il s’y est fait des changements, dont on doit la majeure partie à Mr le Marquis de Saint Marzan, Commandant Général de la Cavalerie, qui était autrefois Gouverneur du Comté de Nice, et maintenant celui de Turin. Il est heureux de vivre dans un pays où la bonté et la justice du Souverain lui fait discerner les personnes qui peuvent contribuer au bien de l’État et la commodité publique ! C’est à cet illustre personnage que l’on est redevable de la route surprenante que l’on vient de terminer pour pénétrer en Piémont avec de grosses voitures : plusieurs Anglais y ont déjà passé avec leurs berlines. Ce chemin est en ce moment praticable durant neuf mois : et comme on se propose de percer le col de Tende à la hauteur du tiers environ de la montagne, il n’y a point de doute que l’on puisse passer pendant toute l’année ; ce qui procurera encore un bien infini au pays. On lui doit aussi l’agrandissement de la ville : ce qui joint à l’augmentation du commerce, qui doit provenir du plus grand nombre d’habitants, ne laisse aucun doute que cette ville ne devienne par la suite une des plus considérables sur les côtes d’Italie, tant par la position que par la beauté de son climat.
Voyage historique et pittoresque du Comté de Nice (1787)
Nice est le séjour de l’ennui, et les moucherons y font le tourment des étrangers, car ces insectes les préfèrent aux habitants. Cependant, je m’y amusai à cause d’une petite banque de pharaon que l’on tenait au café et à laquelle Rosalie, que je forçai à jouer, gagna une vingtaine de pistoles de Piémont.
Histoire de ma vie, Tome V (1789)
Giacomo Girolamo Casanova est né à Venise. Sa mère était actrice. Il a fait des études éclectiques à l’Université de Padoue (mathématiques, chimie, droit et philosophie). D’abord abbé, il est chassé de l’église en raison de ses frasques amoureuses…Il entame alors une vie d’aventurier, exerçant de nombreuses activités : violoniste, joueur professionnel, financier, enseigne de vaisseau, magicien, escroc et enfin bibliothécaire…tout en parcourant l’Europe. Il multiplie, à l’occasion de ses voyages, les conquêtes féminines mais rencontre également les célébrités de son temps (Voltaire, Goethe, Mozart, Rousseau…et le pape Clément XIII). Il termina sa vie au château de Duchov, en Bohême, comme bibliothécaire du comte Joseph Karl von Waldstein. Dans ses « Mémoires », il a évoqué son passage à Nice.
Johann BERKA, Portrait de Giacomo Casanova âgé de 62 ans, Icosaméron ou Histoire d'Edouard et d'Elisabeth, 1787, Paris, BnF
À Antibes je louai une felouque pour me transporter à Gênes, et comme j’avais le dessein de reprendre le même chemin à mon retour d’Italie, je fis mettre ma voiture en remise en payant une bagatelle par mois. Nous partîmes au point du jour par un bon vent ; mais, la mer étant devenue houleuse, et ma Rosalie mourant de peur, je fis entrer la felouque, à forces de rames, dans le port de Villefranche où, pour avoir un bon gîte, je pris une voiture pour Nice. Le mauvais temps nous y retint trois jours, et je me crus obligé d’aller faire ma révérence au commandant, vieil officier qui se nommait Peterson.
Jean-François ALBANIS BEAUMONT, Entrée du Port Lympia et vue sur les collines, Voyage historique et pittoresque, 1787, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
Il me reçut fort bien ; mais, après les civilités d’usage :
« Connaissez-vous, me dit-il, un Russe qui se fait appeler Charles Iwanoff ?
- J’ai eu l’occasion de le voir une fois à Grenoble.
- On dit qu’il s’est sauvé de la Sibérie, et que c’est le fils cadet du duc Biron de Courlande.
- On me l’a dit, mais je n’en ai aucune preuve.
- Il est à Gênes, où un banquier a, dit-on, ordre de lui donner vingt mille écus. Malgré cela, il n’a trouvé personne ici qui ait voulu lui donner un sou, et pour en débarrasser la ville, je l’ai envoyé à Gênes à mes frais. »
Je fus bien aise qu’il fut parti avant mon arrivée. Un ancien officier nommé Ramini, et qui demeurait à l’auberge où je m’étais logé, me demanda si je voulais me charger d’un paquet que M. Saint-Pierre, consul d’Espagne, devait envoyer à Gênes au marquis Grimaldi.
C’était le même que je venais de voir à Avignon : je m’en chargeai avec plaisir.
« Avez-vous, me dit ensuite ce même officier, connu à Avignon une Mme Stuard, qui a passé ici une quinzaine de jours avec son soi-disant mari ? Ces pauvres diables étaient sans le sou, et elle, beauté accomplie, enchantant tout le monde par ses charmes, n’accordait à personne ni une parole ni un sourire.
- Je l’y ai vue et connue, lui dis-je, mais elle n’y est plus. C’est moi qui lui ai donnée de quoi s’en aller plus loin. Mais comment a-t-elle pu quitter Nice sans argent ?
- Personne n’en sait rien. Elle est partie en voiture, et l’hôte a été payé. Cette femme m’intéresse. Le marquis Grimaldi m’a dit qu’elle a refusé cent louis qu’il voulait lui donner, et qu’un Vénitien de sa connaissance n’avait pas été mieux traité que lui. C’est peut-être vous ?
- Oui, c’est moi, et cependant je lui ai donné de l’argent. »
M. Peterson vint me voir le soir, et Rosalie l’enchanta, tant elle fut aimable. Ce fut un succès de plus dont je ne manquai pas de la complimenter.
[…] Elle enferma son petit pécule dans une bourse, en me disant que cela la rendait tout heureuse, car elle désirait être maîtresse de quelque argent. Je la grondai de ne pas me l’avoir dit, lui reprochant de ne pas avoir tenu sa promesse. « Je n’en avais pas besoin, me dit-elle, et je sens que je le désirais sans y penser. »
Notre paix fut bientôt faite.
C’est ainsi que je m’attachais cette jeune personne, espérant qu’elle serait à moi pour le reste de mes jours, et que, vivant content avec elle, je ne me sentirais plus le besoin de courir de belle en belle. Ma destinée en ordonnait autrement, et on ne va pas à l’encontre du sort.
Histoire de ma vie, Tome V (1789)
Les maisons de campagnes des environs de Nice, sont peuplées d’Anglais, de Français, d’Allemands. Chacune d’elle est une colonie. C’est là que de tous les pays du monde l’on fuit l’hiver ; Nice, pendant l’hiver, est une espèce de serre pour les santés délicates.
Lettres sur l’Italie, Lettre IV (1785)
Charles-Marguerite-Jean-Baptiste Mercier du Paty, est né à la Rochelle. Juriste et homme de lettres.
D’abord avocat général au parlement de Bordeaux, il travaille ensuite à Paris au ministère de la Justice où il participe à la réforme de la législation criminelle. Il connaît une certaine célébrité en 1786 en obtenant, avec l’appui de Condorcet, l’acquittement de trois journaliers injustement accusés d’un crime.
Il publia en 1785 ses « Lettres sur l’Italie », ouvrage qui connut un certain succès en France mais fut mis à l’index par le Vatican, l’auteur étant membre de la Franc-maçonnerie.
Jean-Baptiste Mercier DUPATY, Lettre sur l'Italie, écrites en 1785, Chez De Senne, Libraire de Monseigneur comte d'Artois, au Palais Royal, 1788, BEIC digital library
Nice est assis sur un amphithéâtre de rochers qui s’avancent un peu dans la mer. Il est entouré de montagnes qui, insensiblement, descendent et semblent offrir à tous ceux qui passent, des maisons de campagne charmantes, couvertes d’oliviers, de mûriers, d’arbres fruitiers de toutes les espèces ; et surtout les citronniers, de limoniers et d’orangers.
Antoine RISSO, Orange de Nice, Histoire naturelle des orangers, 1818-1822, planche lithographique de Pierre-Antoine Poiteau, Nice, Muséum d'histoire naturelle
C’est une richesse, ou plutôt la plus grande richesse du pays. Il y a des particuliers qui cueillent tous les ans plus de trois cent mille oranges, plus de cent cinquante mille citrons, enfin, le pays est, comme on le dit le pays même, très abondant en « aigrure ». En « aigrure » ! Que veut dire ce mot aigre et barbare ? Ce nom d’aigrure est celui que l’intérêt, pour lequel le beau n’est rien, l’habitude pour laquelle tout cesse d’être beau, donnent à Nice, à ces belles pommes du jardin des Hespérides, à l’aide desquelles vainquit Atalante.
Lettres sur l’Italie, Lettre IV (1785)
[…] Nice. Je logeai à l'hôtel de York. C'est une belle taverne anglaise, très agréablement située, et la maîtresse est une femme sympathique et agréable. Il existe un autre hôtel anglais d’égale réputation. Le vin de Nice est remarquablement bon. Vous pouvez passer ici plusieurs jours très agréablement. Il s'agit en fait d'une colonie anglaise.
Jefferson’s papers, Hints to Americans Travelling in Europe, 19 June 1788
Thomas Jefferson est né le 13 avril 1743 dans l’État nord-américain de Virginie. Il est décédé le 4 juillet 1826.
Homme d’État américain, il a été principal rédacteur de la Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1176. Il a ensuite exercé les fonctions de secrétaire d’État, vice-président et enfin président des États-Unis de 1801 à 1809. Esprit imprégné de la pensée des Lumières européennes, il a été ambassadeur des États-Unis en France de 1785 à 1789. Au cours de son séjour, il participa à la vie culturelle parisienne et entretenait notamment des contacts avec d’Alembert et Condorcet. C’est à cette époque qu’il effectua un voyage à Nice.
Gastronome et œnophile, il appréciait tout particulièrement le vin de Nice. On trouve dans sa correspondance des mentions de son séjour à Nice.
Portrait de Thomas Jefferson, dans "Recueil. Collection alphabétique de portraits français et étrangers", XVIII siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France
[…] Nice. Je logeai à l'hôtel de York. C'est une belle taverne anglaise, très agréablement située, et la maîtresse est une femme sympathique et agréable. Il existe un autre hôtel anglais d’égale réputation. Le vin de Nice est remarquablement bon. Vous pouvez passer ici plusieurs jours très agréablement. Il s'agit en fait d'une colonie anglaise.
Jefferson’s papers, Hints to Americans Travelling in Europe, 19 June 1788
Clément ROASSAL, Palais Spitalieri ou Hôtel York, 1828-1832, Nice, Musée Masséna
À Pierre Guide
Philadelphia, 1 mai 1791
Monsieur,
[…] Je serai absent de Philadelphie du milieu de ce mois au milieu du prochain. Si vous pouviez m'envoyer, par première étape (si le colis supporte le transport terrestre), une seule douzaine de Vin vieux de Nice et le prix, peut-être pourrais-je me procurer d'autres commandes d'ici avant de partir. Je suis avec beaucoup d'estime, Monsieur, votre plus obéissant et humble serviteur.
Th. Jefferson
Jefferson’s papers, From Thomas Jefferson to Pierre Guide, 1 May 1791
Clément ROASSAL, Panorama depuis les collines, 1828-1832, Nice, Musée Masséna
La société est très brillante à Nice pendant le séjour des étrangers : mais presque tous s’en vont dans leur patrie au temps où les hirondelles y retournent. Les plaisirs en carnaval sont à Nice, presque aussi animés que dans les grandes villes de France. Ordinairement il y a un opéra italien, dans une salle jolie. On y donne toutes les semaines bal et concert alternativement. Les assemblées sont alors très nombreuses, et on y joue gros jeu.
Voyage d’un Français en Italie en 1765 et 1766 (1786)
Joseph Jérôme Lefrançois De La Lande est né à Bourg-en-Bresse et mort à Paris. Après ses études au collège jésuite de la Trinité à Lyon et des études de droit à Paris, il se passionne pour l’astronomie, tout en exerçant la profession d’avocat à Bourg-en-Bresse.
Ses travaux en astronomie lui vaudront très vite une certaine notoriété. Il entre à l’académie des Sciences de Prusse à 21 ans puis en 1753 à l’académie de sciences à Paris où il obtient un poste d’assistant. Son étude sur l’orbite de Vénus en 1769 le rend célèbre et il rédige plusieurs articles sur l’astronomie pour l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert. En 1795, il sera nommé directeur de l’observatoire de Paris. Il a également participé à la création du calendrier républicain. En 1786, il publie « Voyage d’un Français en Italie en 1765 et 1766 ».
Joseph DUCREUX, Portrait en buste de Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande, en habit d'académicien, 1802, © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) - Photo Gérard Blot
De la Turbie on descend vers Nice ; dans certains endroits ce sont des espèces de degrés taillés dans le roc.
Nice est une ville de 28 000 habitants, située au midi de Turin, à la distance de 33 lieues en ligne droite, et à pareille distance de Gênes et de Marseille ; elle est depuis quelques années le refuge des étrangers, que le froid et l’humidité incommodent, et il en est peu qui passent de France en Italie sans reconnaitre ce pays, justement célèbre pour la douceur du climat et la beauté de ses campagnes ; d’ailleurs le plus grand nombres des géographes l’ont compris dans cette belle contrée de l’Europe, en donnant à l’Italie pour limite occidentale, le Var qui tombe dans la mer à une lieu de Nice. [...]
Paul-Emile BARBERI, Faubourg de la Croix-de-Marbre, 1834, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
Le principal faubourg est celui de Jean-Baptiste. Celui de la Poudrière est moderne, ainsi que le faubourg appelé la croix de marbre, qui en est un prolongement très étendu, le long de la mer ; je n’ai pu joindre à mon plan le quartier de la Poudrière et de la croix de marbre, parce que cette partie n’a pas encore été levée ; on y va par la rue de la Poudrière n° 32. C’est là principalement que logent les étrangers qui sont attirés par la beauté du climat, et passent l’hiver à Nice. Leur affluence a engagé les habitants à construire et meubler un grand nombre de maisons destinées uniquement aux étrangers. Elles sont presque toutes isolées, entre cour et jardin, ayant vue sur la mer d’un côté, et de l’autre sur une campagne enchantée, qui n’est, pour ainsi dire, qu’un jardin ; on loue ces appartements pour la saison, c’est-à-dire, du mois d’octobre au mois de mai ; on peut avoir une chambre garnie à un louis, et il y a des appartements depuis quinze louis jusqu’à cent, et même cent cinquante. Les propriétaires fournissent le linge et même l’argenterie, mais en petite quantité, et d’une valeur ordinairement très médiocre.
La température à Nice est telle qu’on aurait peine à en trouver une aussi douce, même en Italie. Le climat de Naples n’est pas plus doux en hiver, il est plus brûlant en été ; le thermomètre n’y descendit pas à plus de trois degrés dans l’hiver de 1781, ou lorsqu’il était à Paris à plus de dix degrés de froid. Le mois de mai est rarement aussi beau en France, que le mois de février l’est à Nice ; et c’est au mois de février que la température y est moins douce, et le temps plus inconstant.
L’été est fort chaud sans doute ; car la température moyenne est de vingt-deux degrés, mais le thermomètre ne passe presque jamais vingt-quatre, et cette chaleur est agréablement tempérée par une brise de mer, qui tous les jours s’élève à dix heures du matin, et souffle jusqu’au coucher du soleil, moment où commence la brise de terre, qui est également rafraîchissante.
On vit longtemps dans ce pays. La pleurésie est presque la seule maladie qui soit commune.
La campagne ou le territoire de Nice, répond parfaitement à ce qu’un ciel si beau semble promettre ; c’est une plaine coupée par des coteaux, derrière lesquels s’élèvent trois rangs de montagnes graduées dans leur hauteur, dont le dernier rang se confond avec les Alpes. C’est à ce triple rempart qu’on doit l’avantage d’une si douce température. C’est cet abri naturel qui met tant de différence entre la température de Nice, et celle des lieux voisins qui n’ont pas la même exposition : aussi cette campagne est très peuplée. On compte 15 mille habitants dans la banlieue qui a environ une lieue carrée.
Vincent FOSSAT, Ficus cat. Cotignana (F. flou en niçois), aquarelle exécutée pour J-B Barla, 1869, Nice, Muséum d'histoire naturelle
Les coteaux sont couverts de bastides, ou petites maisons peintes de différentes couleurs, qui tranchent fort agréablement au travers du feuillage terne des oliviers. Les terres sont plantées en vignes, soutenues d’espace en espace par des figuiers, des amandiers, des pêchers, entre lesquels on lie des cannes ou roseaux, très commodes pour cet usage.
Dans l’intervalle on sème alternativement du blé et des fèves qui entretiennent une verdure très agréable, et donnent l’idée d’un printemps continuel. Les oliviers, les orangers, les citronniers, les cédrats, les aloès, les caroubiers, les lauriers, les myrtes, les grenadiers contrastent agréablement avec les Alpes, qui se découvrent à deux ou trois lieues delà, et qui sont souvent chargées de neiges.
La culture se fait toute à bras d’hommes avec un seul outil, dont la forme est celle d’une pioche fort large et presque carrée.
Voyage d’un Français en Italie en 1765 et 1766 (1786)
Quand je suis sur le rempart et que je regarde autour de moi j'ai de la peine à croire que je ne suis pas ensorcelé. La petite étendue de pays que je vois est cultivée comme un jardin […] plein d’arbres verdoyants chargés d'oranges, de limons, de citrons, de bergamotes, qui font un tableau délicieux. Si vous examinez de plus près, vous trouverez des plantations de petits pois prêts à être récoltés, de toutes sortes de salades et de légumes excellents ; des massifs de roses, d’œillets, de renoncules, d’anémones, d'asphodèles en fleurs, le tout d'une vigueur et, d'un parfum que l’on ne trouve dans aucune fleur en Angleterre.
Travels through France and Italy -Lettres de Nice-Lettre XIII (1766)
Giacomo Girolamo Casanova est né à Venise. Sa mère était actrice. Il a fait des études éclectiques à l’Université de Padoue (mathématiques, chimie, droit et philosophie). D’abord abbé, il est chassé de l’église en raison de ses frasques amoureuses…Il entame alors une vie d’aventurier, exerçant de nombreuses activités : violoniste, joueur professionnel, financier, enseigne de vaisseau, magicien, escroc et enfin bibliothécaire…tout en parcourant l’Europe. Il multiplie, à l’occasion de ses voyages, les conquêtes féminines mais rencontre également les célébrités de son temps (Voltaire, Goethe, Mozart, Rousseau…et le pape Clément XIII). Il termina sa vie au château de Duchov, en Bohême, comme bibliothécaire du comte Joseph Karl von Waldstein. Dans ses « Mémoires », il a évoqué son passage à Nice.
Portrait de Tobias Smollet, extrait de Characters continued from Hume, Smollet, Charendon etc. with the life of Smollet, par T. Smollet et E. Hyde Charendon, Parsens & Galiagnani, Paris 1804, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
À l’origine, Nice fut une colonie marseillaise. Si nous en croyons Justin et Polybe, les Phocéens s’établirent en Gaule et fondèrent Marseille sous le règne de Tarquin l’Ancien. Cette ville devint si florissante que bien longtemps avant que les Romains fussent à même d’étendre leurs domaines, elle créa des colonies et les établit le long de la côte de Ligurie. Nice ou Nicæa fut l’une des plus remarquables d’entre elles ; son nom dérive, selon toute probabilité du grec Nixŋ qui signifie Victoire, à la suite de quelque succès militaire remporté contre les Saliens et les Ligures qui étaient les anciens habitants de ce pays. Nice ayant été plus tard, comme sa cité mère, conquise par les Romains, passa ensuite et successivement sous la domination des Goths, des Burgundes, des Francs, du Roi d’Arles et des rois de Naples, comtes de Provence.
En l’an 1388 la ville et le Comté de Nice, mal protégé par la famille Durazzo, se rendirent volontairement à Amédée de Savoie, surnommé le Duc Rouge ; depuis ce temps, ils ont continué à faire partie des domaines de ce souverain, sauf aux époques où ils furent envahis et conquis par la France, qui fut toujours un voisin inquiétant pour ce pays.
Lettre XVII
Fragment de rebord de coupe attique à figures rouges, trouvé à Nice en 1964, VIe-IVe siècle av. J.C., terre cuite,
Nice, Musée d'Archéologie, site de Cimiez
Au milieu des plantations qui environnent Nice émergent de nombreuses bastides ou maison de campagnes blanches qui font un tableau des plus riants ; quelques-unes de celles-ci sont de bonnes villas, appartenant à la noblesse du pays, et même quelques bourgeois possèdent des cassines assez habitables ; mais en général ces maisons de campagne servent de logement aux paysans et ne contiennent que misère et vermine. Elles sont toutes construites à angles droits et blanchies à la chaux, ce qui contribue beaucoup à la richesse du paysage.
Les collines sont couvertes jusqu’à leurs sommets d'oliviers toujours verts et ces collines elles-mêmes sont dominées par des montagnes lointaines couvertes de neige. Si je me tourne vers la mer, la vue a pour limites l'horizon ; toutefois, par un matin clair, on peut voir les hautes montagnes de la Corse. À droite, la vue s'arrête à Antibes et aux montagnes de l'Esterel, déjà décrites. Pour ce qui est du climat, vous conclurez de ce que j’ai dit des orangers et des fleurs qu’il doit être merveilleusement doux et serein ; mais j’en parlerai plus loin.
Lettre XIII
Ce qui entrave le plus le développement du commerce niçois, c’est le manque d’argent, d’industrie et de moralité. Les naturels du pays sont en général de si sales garnements que nul étranger ne peut se fier à eux en matière de commerce. On les a vus remplir d’huile et de têtes de poissons gâtés leurs barils d'anchois pour tromper leurs propres correspondants.
Les boutiquiers de cette ville sont généralement pauvres, rapaces et fraudeurs ; beaucoup d’entre eux sont des banqueroutiers de Marseille, Gênes et autres lieux, qui ont fui leurs créanciers jusqu'ici ; Nice étant port franc offre un asile aux fraudeurs et escrocs de tout genre. Il y a aussi un nombre assez considérable de Juifs qui vivent ensemble dans une rue réservée à leur usage et que l'on ferme chaque nuit. Ils font office de courtiers, mais sont généralement pauvres et trafiquent en friperies, reliquats, vieux habits et meubles usagés. Il existe un autre genre de trafic qui est accaparé par les moines : certains couvents ont un si grand nombre de messes à dire en vertu des dispositions testamentaires, qu’ils se trouvent dans l'impossibilité d'exécuter les volontés du testateur ; ils traitent alors avec les moines des couvents plus pauvres qui disent les messes à meilleur marché et encaissent la différence.
[…] Les artisans de Nice sont très paresseux et très besogneux, très maladroits et dépourvus de tout esprit inventif. Leur salaire est presque aussi élevé que celui des ouvriers de Londres et de Paris. Plutôt que de travailler pour un gain modeste résultant d'une occupation suivie et suffisant pour les faire vivre confortablement, eux et leurs familles, ils préfèrent pâtir la faim, flâner sur les remparts, se vautrer au soleil ou jouer aux boules dans les rues du matin au soir.
La classe du peuple la plus basse comprend les pêcheurs, les manœuvres, les portefaix et les paysans. Ces derniers sont dispersés dans des petites maisons de campagne qui avoisinent la ville, et leur nombre s’élève à ce qu’on dit, à douze mille. On les emploie à labourer la terre et ils portent tous les signes extérieurs de la plus extrême misère. Ils sont tous de petite taille, maigres, rabougris, sales et moitié nus. Leur teint est plus que basané, il est aussi noir que celui des maures, et je crois que beaucoup d’entre eux sont des descendants de cette race. Ils sont peu favorisés par la nature et leurs femmes ont les traits les plus durs que j’ai jamais vus. Il faut reconnaitre toutefois qu'ils ont les plus belles dents du monde. La nourriture de ces pauvres se compose de résidus de légumes, de pain très grossier, d'un peu d'huile et d'un mets appelé polenta, fait avec de la farine de maïs, qui est très nourrissant et agréable. Mais il semble que même ces simples denrées leur sont comptées avec parcimonie. J’ai connu un paysan qui nourrissait sa famille avec l’enveloppe de haricots bouillis. Leurs pourceaux sont beaucoup mieux nourris que leurs enfants. Il est bien regrettable qu’ils n’aient pas de vaches qui donneraient du lait, du beurre et du fromage pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Lettre XX
Tobias SMOLLET, Travels through France and Italy, R. Baldwin, Londres, 1766, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
La grande pauvreté des gens d’ici tient à leur religion. La moitié de leur temps se passe à observer les nombreuses fêtes, et la moitié de leurs biens est donnée aux moines mendiants et aux prêtres de leurs paroisses.
Mais si l’église est la cause de leur indigence, elle en atténue l’horreur dans une certaine mesure en les amusant par des exhibitions, des processions et même par ces fêtes qui suspendent le travail dans un pays où le climat dispose à la paresse. Si les paysans voisins d’une chapelle consacrée à un saint désirent célébrer le jour du saint par un festin, ou en d’autres termes une foire, ils s’adressent au commandant de Nice pour obtenir licence, ce qui coûte à peu près une couronne. Cette licence une fois obtenue, ils se réunissent, hommes et femmes, après l’office, dans leurs plus beaux habits et dansent au son des violons, des fifres et du tambourin, ou plutôt des fifres et du tambour. Il y a des étalages d’ambulants avec de la pacotille et des bibelots pour cadeaux, des gâteaux, du pain, des liqueurs, du vin ; en général, toute la société de Nice s’y rend. J’ai vu toute notre noblesse à l’un de ces festins, qui se tenait sur la grande route en été, mêlée à une foule immense de paysans, de mules, d’ânes, couverte de poussière et transpirant par tous ses pores dans la chaleur excessive de l’été.
Lettre XX
Lorsque je prenais des bains de mer, cet été, je payais dix-huit sols, soit à peu près six pence, pour être porté, aller et retour ; et le bain se trouvait à un mille de ma maison.
Puisque je parle des bains de mer, il est peut-être utile de vous dire que, bien qu’il y ait une belle plage s’étendant à plusieurs milles à l’Ouest de Nice, ceux qui ne savent pas nager doivent être très prudents car la mer est profonde et le rivage très abrupt à quelques pas du bord.
Jules DEFER, La Route de France vers Magnan, 1865, Nice, Musée Masséna
Les gens d’ici étaient très surpris quand ils me virent me baigner au commencement de mai. Ils trouvaient très étrange de voir un homme qui avait l’air poitrinaire plonger dans la mer surtout alors que le temps était si froid ; quelques médecins pronostiquèrent la mort immédiate. Mais lorsqu’on constata que ma santé s’améliorait par cette pratique, quelques officiers suisses tentèrent l’expérience et en quelques jours notre exemple fut suivi par plusieurs habitants de Nice. Il n’existe aucune installation pour cet exercice et le beau sexe n’en peut bénéficier qu’en négligeant toute décence, car la plage est toujours bordée de bateaux-pêcheurs et couverte d’une foule de gens. Si une dame voulait faire les frais d’une tente et la dresser au bord de la mer pour y endosser son costume de bains, elle ne pourrait quitter sa tente sans être accompagnée de gardiens et ne pourrait plonger la tête en avant ce qui est la façon la plus agréable de prendre un bain. Tout ce qu’elle pourrait faire est de se faire apporter de l’eau de mer chez elle et de faire usage d’une baignoire qu’elle ferait faire sous sa direction ou celle de son médecin.
Lettre XXIII
Travels through France and Italy - Lettres de Nice (1766)
Jusque-là, les Français s'étaient montrés bienveillants, mais je vais maintenant vous raconter un événement qui va les discréditer et heurter les défenseurs de la vertu. Lorsque la République était sur le point d'envahir Nice, l'usage voulait que les clés de la ville soient remises en bonne et due forme. Étant donné que tous les responsables piémontais et niçois, tant militaires que civils, avaient maintenant disparu, l'évêque (qui, malgré de multiples sollicitations, refusait de fuir en déclarant qu'il resterait sur place pour veiller sur ses fidèles jusqu'à ce qu'il soit contraint de partir) fut alors convoqué pour organiser ladite cérémonie. Il accepta et fit alors appel à deux ou trois de ses chapelains, dont l'un d'eux s'adressait à lui en l'appelant « Monseigneur ». En entendant cela, l'orgueilleux général français s'exclama : « Il n'y a plus de Monseigneur ! Monsieur l'Abbé, s'il vous plait ». Puis, il se tourna vers l'évêque, qui portait une croix autour de son cou, et lui intima l'ordre de jeter cette babiole et de prononcer le serment patriotique, chose que l'évêque, indigné, refusa de faire. Après quoi, il fut invité à quitter la ville. De retour à son palais, il fit un malaise, mais ne tarda pas à reprendre ses esprits et s'en alla à pied sous une pluie battante vers Turin où il arriva malgré tout sain et sauf.
Lettres d’Italie (1792-1798)
Écrivain britannique née à Epson. Elle passa sa jeunesse aux Indes où son père était à la Compagnie des Indes Orientales. Connaissant plusieurs langues, dont le latin et le grec , elle voyagea très souvent en Italie (Piémont, Ligurie…). Elle a publié des pièces de théâtre (The Sword of Peace or a Voyage of Love ; The Widow of Malabar ; The Tournament…), des poèmes et plusieurs récits de ses voyages. Un de ses premiers recueils, « Lettres d’Italie » évoque son séjour à Nice peu avant l’entrée des troupes françaises dans la ville en 1792.
Vittorio Amedeo CIGNAROLI, Vue de la ville de Nice, 1791, Fondation Humbert et Maria José de Savoia
Siège et prise de la ville par le troupes révolutionnaires françaises, 1792, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
Nous arrivâmes à Nice le 22 septembre, non sans trouver presque tous les hébergements sans murs occupés par des soldats piémontais, un camp formé sur les berges du Var, de nouvelles batteries installées ou en cours d'installation, et un sentiment général d'appréhension chez une grande partie de la population. Nous commençâmes alors à songer à louer une felouque pour nous rendre à Gênes.
Toutefois, on nous assura qu'« il n'y avait aucun danger à rester pour nous reposer de notre long voyage, qu'il n'y avait pas de troupes de 500 soldats dans aucune des provinces du sud de la France, que les accès terrestres à la ville de Nice étaient parfaitement gardés et que même en cas d'attaque maritime, nous pourrions aisément quitter la ville, bien avant qu'un débarquement n'ait lieu. » Croyant être en sécurité, nous nous résolûmes à attendre quelques jours la suite des événements dans un hôtel situé dans l'enceinte de la ville. Le dimanche 23, rien ne nous fit regretter notre décision. Mais le 24, j'avais remarqué que la population juive quittait la ville et que d'autres habitants, surtout les émigrants français, faisaient leurs bagages. Le 25, l'évêque de Nice (l'un des hommes les plus aimables et respectables qui soit) nous informa que, d'après des signaux, une flotte importante était en vue, et qu'il espérait voir les Russes arriver en renfort. Mais cet espoir fut vain car le 26, plusieurs bateaux s'étaient suffisamment rapprochés pour se rendre compte qu'ils étaient français, bien que le bruit courait qu'ils n'étaient pas en mesure d'attaquer Nice. Néanmoins, le 27, une panique généralisée s'empara de la population, due principalement à une proclamation du gouvernement obligeant tous les propriétaires de chevaux ou de mules à les mettre au service du roi.
Ainsi, tout espoir de quitter la ville par voie terrestre fut anéanti et le matin du 28, la première chose qui attira notre regard fut la flotte française, composée d'environ seize navires de ligne, se tenant au large du port. Je me rendis immédiatement sur les quais avec l'intention de louer un navire de commerce anglais (notre pays entretenant des relations pacifiques avec la France) et d'y embarquer famille et amis avant que la ville ne soit bombardée, une circonstance que nous redoutions de voir arriver d'une minute à l'autre. Mais aucun vaisseau anglais n'était prêt à lever l'ancre. Toutefois, je pus en louer un qui pouvait nous emmener jusqu'à Gênes, son capitaine devant se procurer du ballast au préalable. Nous n'avons pas osé nous aventurer dans une felouque niçoise, de peur qu'elle ne soit coulée par l'ennemi. De retour du port, j'appris à ma plus grande surprise que le roi de Sardaigne venait d'envoyer un bateau express en provenance de Turin et qu'il avait ordonné à toutes ses troupes de se retirer le plus rapidement possible et d'abandonner Nice. J'ignorais le motif d'un tel ordre, mais il avait provoqué une énorme vague de consternation auprès des soldats et leur inquiétude était justifiée car le gouvernement sarde avait non seulement reçu et hébergé à Nice des milliers de loyalistes français parmi les plus odieux, mais aussi banni ou emprisonné un grand nombre de républicains. Par conséquent, ils avaient raison de craindre une vengeance de leur part.
Pendant trois ou quatre heures, soit une éternité, le destin de Nice était en train de se jouer, alors que les émigrants français fuyaient à pied vers les Alpes, suivis des Piémontais et de la noblesse niçoise, dont certains s'employaient à enterrer leurs possessions. Les troupes sardes quittaient calmement la ville avec à leur tête leur commandant et accompagnés d'autres officiers militaires, excepté un. De retour à l'hôtel, je découvris que des officiers ayant établi leurs quartiers dans l'établissement avaient déjà commencé à plier bagage la veille, alors que l'ordre d'évacuer Nice ne fut donné que le lendemain matin.
La flotte française avançait progressivement pour se mettre en ligne face au port, envoyant un bateau, un drapeau blanc de trêve hissé en haut du mât. Les personnes à bord demandèrent à plusieurs reprises d'ouvrir des pourparlers avant que les Niçois terrifiés ne formulent une réponse convenable. Toutefois, un bateau arborant les couleurs de la ville fut finalement dépêché du quai, sur lequel des messagers français abordèrent pour demander la libération immédiate de leur consul que le gouvernement sarde avait récemment arrêté. Les quelques magistrats civils restant à Nice (la plupart d'entre eux ayant fui) non seulement acceptèrent leur requête, mais remirent également la ville aux mains de la France, avant même qu'une telle reddition n'ait été demandée. Un compte rendu de cet événement fut immédiatement envoyé à Antibes, pendant que le consul français retourna triomphant vers la flotte.
Jean-François ALBANIS BEAUMONT, Vue de l'intérieur du Port Lympia et du château du Mont Alban, Voyage historique et pittoresque, 1787, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
Plusieurs heures s'écoulèrent avant que nous n'apprîmes ce que préparaient nos conquérants. Pendant ce temps, les esclaves galériens, qui n'étaient plus surveillés, avaient retiré leurs chaînes et terrorisaient toute la ville à tel point que l'arrivée des troupes françaises fut considérée comme une bénédiction. Cependant, à la nuit tombée, quelques officiers républicains en provenance d'Antibes nous informèrent que la reddition de Nice était […] le lendemain au soir et à peine eurent-ils le temps de faire cette déclaration que le chevalier de Saluggio nous somma de barricader nos portes et de préparer nos familles à fuir tant il avait peur que les esclaves galériens ne pillent la ville et n'assassinent nombre de ses habitants. Cet homme de valeur ajouta « qu'il avait averti le commandant de tous ces dangers et qu'il lui avait solennellement demandé de déployer plusieurs troupes pour maintenir l'ordre jusqu'à l'arrivée des Français, mais sa requête fut rejetée. » Un tel refus parut inexplicable, bien que cette énigme fût facilement résolue lorsque nous comprîmes que la confiance aveugle du gouvernement, dans un premier temps, l'ordre immédiat du retrait des troupes, dans un second temps, et la reddition précipitée de Nice, dans un troisième temps, n'étaient ni plus ni moins qu'une trahison. Les traitres de leur pays avaient agi avec une audace telle que chaque batterie supposée servir à sa défense avait été placée inutilement, alors que le mont Alban, le seul endroit qui aurait pu être aisément et entièrement protégé, avait en fait été complètement négligé, malgré les remontrances de son gouverneur. Bien entendu, nous veillâmes toute la nuit, comme j'imagine, beaucoup d'autres familles. Heureusement pour nous, le butin que les pillards avaient trouvé dans des maisons vides, les avait occupés jusqu'au petit matin, alors que presque toute personne de haut rang restante, ayant la force de marcher, avait fui vers les Alpes. Et c'était avec une grande tristesse que je voyais des vieillards et des enfants peiner à gravir, pour la première fois de leur vie, les montagnes rocheuses, exposés aux rayons funestes d'un soleil de plomb, chargés d'argent, de vaisselle et d'autres objets de valeur, sous le fardeau desquels ils croulaient. Puis, une rumeur circula selon laquelle plusieurs corps de troupes françaises étaient en train de traverser le Var et, l'après-midi du 29, une colonne, constituée de dix mille hommes, entra dans Nice, précédée par des femmes portant des haches de guerre, une branche d'olivier et les couleurs nationales surmontées d'un bonnet phrygien. Tous répondaient aux ordres du général Anselme, qui s'était arrêté aux portes de la ville pour haranguer et réconforter les Niçois dans l'ordre, saluant les armoiries de l'Angleterre lorsqu'ils passèrent devant notre consul et en s’abstenant de prononcer la moindre parole susceptible d'humilier ou d'inquiéter le peuple conquis.
Cependant, la nuit fut pour le moins agitée car, alors que nous nous mettions à table pour souper, le bruit de portes défoncées pour loger des soldats dans les maisons vides résonnait continuellement dans nos oreilles. Les chances de voir nos chambres vacantes subir le même sort nous rendaient très nerveux. Le brouhaha dans les rues nous terrifiait de plus en plus et le lendemain matin, nous apprîmes que Nice avait été menacée vers minuit par un danger imminent, car un coup de pistolet avait été entendu Place Victoire. Les troupes, immédiatement sur le qui-vive, pensaient qu'il s'agissait d'un signal pour les régiments piémontais (qu'ils croyaient être embusqués à proximité de la ville) de lancer une attaque contre eux et les massacrer. Galvanisés par cette trahison imaginaire, tous voulurent nous brûler dans nos lits et partir en expédition, quand l'éloquence du général Anselme apaisa leur rage et préserva donc la ville et ses civils innocents.
Dès que nous eûmes connaissance de cette information, nous informâmes sur le champ le commandant de la ville de notre volonté d'embarquer avec nos bagages à bord d'un vaisseau anglais dans les plus brefs délais. Il s'occupa immédiatement de nous, rédigea le passeport que nous lui avions demandé, nous assurant toutefois de son souhait de maintenir l'ordre et nous promettant une escorte permanente de vingt hommes, issus de son propre régiment, pendant que nous étions sur place. En pensant à notre départ, il nous recommanda au soin spécial de ses soldats et leur donna ordre d'aider nos domestiques à transporter nos affaires, etc. jusqu'au bateau. Les autres familles anglaises de Nice purent également bénéficier d'une garde rapprochée.
Carte des États du Roi de Sardaigne, Abbé Clouet, ca 1776, Archives Nice Côte d'Azur
Entre le 29 du mois dernier et le 5 de ce mois-ci, les troupes françaises, dont les effectifs avoisinaient
25 000 soldats il me semble, étaient venues renforcer les rangs de celles déjà présentes sur place. Au vu de la grossièreté, de la turbulence et de la cupidité de la majorité des soldats de ces régiments, notre situation devint parfaitement intenable, nonobstant la protection des gardes du commandant.
C'est pourquoi nous suppliâmes le capitaine de notre navire de faire tout son possible pour le préparer à appareiller. Et après avoir déposé nos bagages à bord, nous pûmes par chance faire suivre de nombreux objets de valeurs pour nos amis. Mais comme le consul britannique était désormais déterminé à quitter Nice sous quelques jours et que notre vaisseau était le seul à quai prêt à prendre le large, il donna l'ordre au capitaine de l'attendre. Cependant, le 4, le capitaine nous redonna le sourire en nous annonçant que le consul était prêt et que nous pouvions embarquer le matin suivant. Mais le lendemain, il nous informa « qu'un embargo inattendu avait été mis sur son navire ». Nous fûmes dévastés par cette nouvelle car nous ignorions ce que l'avenir nous réservait. Mais, le 6, le bruit courait que notre ministre à Turin (toujours soucieux du bien-être de ses sujets) avait envoyé une frégate pour nous rapatrier tous à Gênes. Nous retrouvâmes alors le sourire, mais cette lueur d'espoir se dissipa rapidement suite à une annonce des renseignements secrets qui avaient découvert qu'au vu des événements récents, la frégate avait été contrainte de rebrousser chemin, ce qui nous plongea dans une nouvelle tourmente. Mais le 8, notre capitaine eut le plaisir de nous annoncer que l'embargo avait été levé et que nous pouvions nous préparer à embarquer, mais de veiller à être aussi discrets que possible en nous rendant au port. Ma famille se sépara alors en deux groupes de deux en suivant deux itinéraires différents, pendant que moi, contrainte de partir la dernière, je passai tous les points de contrôle français sans être ennuyée grâce à ma tenue de domestique. Arrivés sur le rivage, les soldats furent si aimables qu'ils appelèrent un bateau pour que je puisse rejoindre le navire. Quant aux autres ressortissants anglais moins discrets, ils ne purent échapper aux insultes et éprouvèrent même quelques difficultés à monter à bord. Alors que le consul et sa famille étaient à bord, nous étions très nerveux de lever les voiles. Malheureusement, les éléments étaient contre nous car les vents défavorables et la mer agitée nous empêchèrent de quitter le port. Cependant, aucune mésaventure ne s'était produite jusqu'au jour où des voyageurs anglais qui, comme nous, avaient été informés que Nice ne courait plus aucun danger, arrivèrent au port à bord d'un vaisseau vénitien quand, en raison de la maladresse de son capitaine, un Français fut abattu ! Des hordes de soldats envahirent immédiatement leur vaisseau et auraient décimé tout l'équipage, sans même épargner les Anglais, si un officier républicain n'avait préservé leurs vies au péril de la sienne. Et bien que nous n'ayons rien à voir dans cette affaire, les soldats, qui voyaient désormais d'un mauvais œil les ressortissants britanniques, investirent en masse le pont de notre bateau, qui était parallèle à la côte, en jurant que nous étions des aristocrates et en menaçant de nous dérober nos biens et de nous assassiner. Toutefois, leurs officiers parvinrent finalement à les calmer et à leur faire évacuer le navire. Mais, néanmoins, nous pensâmes qu'il était plus prudent de nous écarter de la côte et de prendre le large dès les premières lueurs du jour le lendemain matin, bien que le temps continuât de se montrer capricieux. Je demanderai donc à Faraudy, notre ancien apothicaire désormais à la tête de la Municipalité, d'envoyer cette lettre. Cet homme, né paysan, mais doté d'une grande intelligence, a appris seul la langue anglaise, étudié la physique, conformément à notre mode de pratique et, suite à plusieurs années de travail acharné, a acquis une immense fortune, principalement de voyageurs anglais. Mais, bien qu'il semblait être à présent arrivé à cette période de la vie où seule la tranquillité lui permettrait d'apprécier les fruits de son activité, il avait projeté le mois passé de permettre le changement de gouvernement à Nice, car il estimait qu'il était plus intéressant pour son pays de rejoindre la nation française plutôt que de dépendre de l'insignifiante couronne de Sardaigne. Cependant, il oubliait que toute révolution, bien que parfois bénéfique à la jeune génération, n'est jamais sans risques pour ses meneurs, surtout à l'époque actuelle, où le pouvoir absolu est aux mains du peuple dont le principe chéri est l'athéisme et leur objectif un empire universel. La dernière partie de cette phrase va peut-être vous laisser perplexe, mais nous avons eu de nombreuses conversations ces derniers temps avec des officiers français qui n'avaient aucun scrupule à dire que leur intention était de faire de Nice une sorte de garderie pour leurs troupes qui, une fois disciplinées et nommées, renverseraient l'aristocratie de Gênes, infiltreraient les Alpes maritimes jusqu'à Turin, détrôneraient le roi de Sardaigne, émanciperaient les milanais, renverseraient la papauté, feraient une révolution à Naples, assujettiraient l'Allemagne, puis en cas de conflit avec l'Angleterre (ce qu'ils n'espèrent pas), tenteraient en dernier ressors de l'envahir et de la conquérir. Cependant, il faudra attendre encore longtemps avant que l'un de leurs chers plans ne soit mis à exécution. Et pendant ce temps, puisse le Piémont révoquer ses conseillers corrompus et Gênes se préparer à la défense !
Lettres d’Italie (1792-1798)
La partie méridionale de la ville est défendue contre le choc des vagues par un rempart construit en pierre. II contient des souterrains voûtés, qui servent de magasins aux marchands ; le dessus est une plate-forme destinée à la promenade. Le côté occidental baigné par le Paglio, est muni d'une forte digue de terre, revêtue d'un mur et pavée de pierres. On monte de la ville sur cette digue par un escalier ; un autre conduit au pont de pierre qu'on a bâti sur la rivière, et qui aboutit à l'un des faubourgs. La digue est par conséquent accessible des deux côtés, et Nice peut être censée une place ouverte, quoiqu'elle soit garnie de portes...
Journal d’un voyage fait en 1775 et 1776 dans les pays méridionaux de l’Europe (1780)
Né à Winterthur (Suisse), il effectue des études de théologie à l’Université de Zurich, pendant lesquelles il s’intéresse également aux mathématiques, à la botanique, à la philosophie et aux beaux-arts. Ordonné pasteur en 1741, il devient précepteur dans la famille d’un riche commerçant de Magdeburg (Prusse). Nommé professeur à Berlin en 1747, il deviendra membre de l'Académie de Prusse, puis en 1775, directeur de la section de philosophie de cette académie. Son œuvre s’inscrit dans le courant philosophique des Lumières et il entretient des contacts avec plusieurs auteurs de son temps. Il publie de nombreux ouvrages dont les plus notoires concernent l’esthétique.
Très affecté par la mort de sa femme Catharina en 1760, sa santé se détériore. C’est pour des raisons médicales qu’il entreprend un voyage vers le sud. En 1780, il publie un « Journal d’un voyage fait en 1775 et 1776 dans les pays méridionaux de l’Europe », dont plusieurs chapitres sont consacrés à Nice, ses paysages, son climat, son économie et ses habitants.
Anton GRAFF, Portrait de Johann Georg Sulzer, s.d., Paris, Bibliothèque nationale de France
Clément ROASSAL, Vue de la Terrasse de Nice, 1828-1832, Nice, Musée Masséna
La promenade autour de la ville est d'une beauté merveilleuse. D'abord on traverse le long du rivage une belle rue, au bout de laquelle un escalier de pierre mène sur la plate-forme du grand rempart. De là on poursuit son chemin sur le rempart vers l'Occident, où l'on découvre tout le golfe […]. De ce rempart on passe sur la digue voisine, et on y continue à marcher vers le Nord. Ici on a une vue vraiment ravissante ; d'un côté les plaines de la ville, parsemées de plusieurs centaines de jardins avec leurs pavillons : de l'autre les collines des environs, ornées d'une quantité innombrable de bastides ou maisons de campagne, et couvertes de forêts d'oliviers : d'autres montagnes s'élèvent derrière celles-ci en amphithéâtre.
Quand on est parvenu à l'extrémité septentrionale de la ville, on descend de la digue pour entrer dans un large chemin, qui fait tout le tour du rocher. Dans cette course on découvre encore une petite étendue de plat-pays divisé en jardins, et plus loin le Mont-Alban avec les débris du château dont j'ai parlé. Le port offre ensuite un autre coup d'œil assez frappant ; on y a établi un grand nombre de guinguettes, où les matelots vont se divertir. Du côté de la mer commence le superbe chemin qu'on a creusé dans le rocher, et qui reconduit sur le rempart dont on est parti. Là se présente, une partie des côtes élevées qui s'étendent vers Gênes, la haute mer, et même dans un jour bien clair, le sommet de montagnes de Corse. Cette promenade est la plus belle qui puisse être imaginée.
Les ondes qui viennent se briser contre les rochers dans le temps des hautes marées, offrent encore un spectacle intéressant qu'on peut se procurer sur le chemin qui aboutir au port. L'eau écumante rejaillit en l'air après le choc, et retombe en partie sur des rochers plus ou moins élevés, dont chacun a pour ainsi dire une figure particulière : ces chûtes forment autant de cascades différentes. Le spectateur placé dans un chemin élevé au-dessus de la mer, ne perd rien de toutes ces beautés, et ne se rassasie pas de les admirer.
L'intérieur de la ville est assez dépourvu d'agréments. Les rues sont étroites, et la hauteur des maisons contribue encore à les rendre plus sombres ; d'ailleurs elles sont fort sales en temps de pluie, on y sent une très mauvaise odeur, et il n'y a que le pavé qui en soit bon. Le quartier méridional est mieux bâti et dans le goût moderne : les rues en sont plus larges et bien alignées, en fin on y trouve une grande place tout à fait régulière, où les Soldats montent la garde.
La ville ne contient pas un seul édifice publié qui mérite d'être remarqué, à l'exception du grand rempart dont j'ai fait mention, et de l'escalier qui y appartient, Celui-ci est incrusté en Marbre, on l'acheva pendant mon séjour à Nice. Les façades des Églises seraient assez belles, si elles étaient moins surchargées de corniches et d'autres ornements. Les maisons du quartier neuf, et surtout celles qui sont voisines de la place de parade, sont grandes et bien bâties. Il y en a quelques autres encore qui sont d'une bonne architecture, mais la plupart sont dans un triste état, et annoncent déjà au dehors la malpropreté qui règne dans l'intérieur, et le peu d'attention qu'on porte, soit à l’entretien, soit aux réparations nécessaires.
La plaine qui confine à la ville, est distribuée en jardins ; ils sont tous entourés de murailles d'une certaine élévation, parmi lesquelles se croisent une infinité de petites rues de traverse. Ces jardins n'ont d'autre beauté que leurs riches plantations de citronniers et d’orangers, et les légumes exquis qu'on y recueille en abondance dans toutes les saisons de l’année, même en hiver. Le terroir y est perpétuellement en activité, et à mesure qu'une couche a produit, on recommence déjà à la bêcher, et à y planter ou semer de nouveau. Au reste ces jardins sont dépouillés de tout agrément : ils n'ont ni ombre, ni promenade, rien en un mot qui soit destiné uniquement pour le plaisir.
Hyppolite CAÏS de PIERLAS, Vue de Nice depuis les collines de la Conque, vers 1830, Nice, Musée Masséna
Chaque jardin a une maison particulière qui en fait partie ; elle est ordinairement occupée par la famille du jardinier, pendant que le Propriétaire demeure en ville. Rarement les jardiniers sont possesseurs des jardins qu'ils cultivent : quelques-uns les tiennent à ferme : d’autres, et ceux-ci sont en plus grand nombre, en ont l'usufruit pour la moitié du rapport annuel. Parmi les maisons dont je parle, il y en a d'assez commodes, qui sont construites et entretenues avec soin. Elles sont presque toutes occupées par des Anglais, qui viennent passer l'hiver à Nice, soit pour des raisons de santé, ou par fantaisie. On y rencontre cependant aussi des Étrangers d'autres pays : moi-même j'avais loué une de ces maisonnettes.
[…] II faut que je dise un mot aussi de la méthode qu'on suit ici pour engraisser les terres. Cet article mérite que j'en fasse une mention particulière, car je doute qu'il existe un pays où l'on économise avec tant de soin tout ce qui y est propre. On conçoit que le paysan manquant de vaches, et n'ayant d'autre bétail qu'un ou deux ânes et tout au plus un couple de chèvres, le fumier doit être rare. L’industrie supplée à cette disette. On ramasse dans des pots toute espèce d'immondices susceptibles de putréfaction, on les enfouit sous terre, on y mêle de l’eau, et lorsqu'elles sont parvenues à un certain degré de fermentation, on les retire et on en arrose les racines des plantes.
Presque tous les jardins ont des cabinets d'aisance qui aboutissent au grand-chemin, et qui sont ouverts à la disposition des passants. Kempser dit qu'on trouve au Japon dans tous les grands chemins des maisonnettes destinées au même usage. Cependant ces ressources n'étant pas suffisantes ici, le paysan va chercher en ville la plus grande partie du fumier dont il a besoin. On y conserve les immondices avec autant de précaution qu'on en met autre part à garder des vivres : elles sont même un objet de négoce et il y a des maisons qui en vendent annuellement pour cent livres et davantage. Le propriétaire du jardin que j'occupais, avait pris à ferme la moitié des excréments des prisonniers condamnés aux Galères, et il en payait une redevance annuelle de trois cents livres. Les gens de la campagne, et surtout les jardiniers vont recueillir ce fumier dans de petits tonneaux, qu'ils chargent ensuite sur leurs ânes. Il leur sert non seulement pour le terroir qui n'est pas encore ensemencé, mais aussi pour tremper la racine des légumes. On en arrose aussi les jeunes orangers et les arbres nouvellement transplantés. Les ordures qu'on jette journellement à Berlin dans la Sprée, seraient vendues à Nice pour le moins 30 000 écus par an.
J’ajouterai ici les observations que j’ai eu occupation de les faire sur le commerce de Nice. Il est de peu d’importance, malgré la franchise dont jouit le port. Trois ou quatre comptoirs suffisent pour faire face à toutes les affaires. Dans l’intervalle de six mois que j’ai passé ici, j’ai vu arriver tout au plus douze vaisseaux, et il en est pas fort davantage.
L’exportation consiste dans les objets suivants : 1- une quantité considérable d’huile, de première et de moindre qualité : le Comté de Nice en est fourni en abondance. 2 – de la soie : le Comté même en fournit, mais la plus grande partie vient du Piémont. 3 – du riz. 4 – beaucoup de chanvre, qui l’un et l’autre viennent du Piémont. 5 – une prodigieuse quantité de limons, citrons et oranges. 6 – des anchois, des sardines et du thon, quelques légumes et un peu de cuir, peu ou point de marchandises fabriquées ; car de ma connaissance le Comté de Nice n’a point de manufactures.
On reçoit de l’étranger : 1- le blé, dont le Comté est entièrement dépourvu. Le commerce de blé y est en même temps un objet de spéculation, et on en revend dans d’autres ports : les négociants de Nice tirent quelques unes de leurs provisions de grains, des Colonies Anglaises en Amérique. 2- tout le sel qui se consomme tant en Piémont que dans le Comté : c’est la Sardaigne qui le fournit. 3 – toute espèce de marchandises fabriquées, parmi lesquelles on prétend qu’il y en a plusieurs dont on fait un commerce de contrebande lucratif avec la France. 4 – le bois de construction, et quelques denrées recherchées que l’usage a rendu nécessaires, comme sucre, cacao, café, etc.
Le commerce na saurait jamais acquérir ici un certain degré d’importance, tant à cause du voisinage de plusieurs villes commerçantes plus considérables, telles que Gênes et Marseille, qu’à cause de la difficulté des charrois dans l’intérieur des provinces ; on manque presque totalement de chemins pour les voitures.
Beaucoup de femmes mariées se font accompagner en public par l’amant qu’elles se sont choisir, et on ne les voit jamais paraître avec leurs maris ; ce qui n’empêche pas que les deux époux ne vivent en bonne intelligence.
Paul-Emile BARBERI, Poissarde et Pêcheur, Coustumes de Nice, 1831, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
J’ai déjà observé que les habitants faisaient peu de cas de la propreté dans l’intérieur de leurs maisons. Ce n’est pas qu’à cet égard aussi on ne puisse admettre quelques exceptions, mais ma remarque n’en est pas moins fondée quant au général. Le gros de la nation est absolument insensible aux agréments d’une habitation commode ; les idées d’ordre et de propreté lui sont étrangères, et à plus forte raison tout ce qui tient à l’élégance est banni de leurs ménages. L’usage de la porcelaine n’est pas même connu dans les meilleures maisons : j’ai vu servir à ma grande surprise le café et le chocolat dans des tasses de Fayence. Le bourgeois est logé misérablement : il croupit à la lettre dans la poussière et dans la saleté.
[…] Ces mêmes gens qui dans l’intérieur de leurs maisons ne se distinguent guères de la brute, ne manquent point d’intelligence lorsqu’il est question de leur travail. Ils s’entendent parfaitement bien à la culture de leurs jardins, et ils savent les entretenir avec tant de soin qu’ils en tirent quelques productions tout le long de l’année. On transporte journellement en ville une quantité de légumes prodigieuse : les couches destinées à cette partie de leur jardinage reçoivent une vigilance redoublée l’eau et l’engrais dont elles ont besoin.
Je ne puis me résoudre à quitter cette contrée, sans faire mention de l’excellence de son climat. Les Anglais accoutumés depuis quelques années à quitter leur île en automne pour passer l’hiver dans les pays méridionaux de l’Europe, ont beaucoup contribué à mettre en réputation les environs de Nice, et assurément cette réputation est méritée à plus d’un titre. Les personnes qui ne cherchent point les plaisirs bruyants des grandes villes, sont sûres de trouver ici un climat où l’on est à l’abri du froid, des neiges et des brouillards, où l’on jouit pour ainsi dire en hiver d’un printemps perpétuel. L’histoire de 1775 qui se fit sentir avec tant de rigueur dans le Nord de l’Europe et même dans une partie de l’Italie, fut fort doux à Nice, quoiqu’il parût aux habitants extraordinairement rude. Le froid fut très supportable depuis le commencement de décembre jusqu’à la fin de mars. Il ne tomba point de neige pendant tout l’hiver, excepté sur le sommet des montagnes, et trois fois seulement la gelée fut assez forte pour couvrir les eaux dormantes d’une légère glace, qui disparaissait cependant d’abord après le lever du soleil. Les pluies et les vents des mois de janvier et février étaient les seules incommodités de ce rude hiver. Cependant, nous eûmes dans ces mêmes mois et surtout en décembre, des journées délicieuses ; aussitôt que la pluie cessait, la saison redevenait belle et comparables aux plus doux printemps de l’Allemagne. L’air d’ici m’a paru beaucoup plus pur et serein que partout ailleurs. On peut en juger par la vivacité du scintillement des étoiles, et par la quantité de petites étoiles qu’on découvre toujours ici, et qui ne sont visibles en Allemagne que dans les plus belles nuits d’hiver. Il n’y a guère de ville en Europe qui soit aussi propre que Nice pour un observatoire, car en temps de pluie même on ne s’aperçoit point que l’air devienne humide ou épais.
Ainsi un valétudinaire qui a besoin de respirer un air pur et de se tenir en exercice, trouvera à Nice pendant l’hiver tout ce qui lui est nécessaire. Il faut cependant qu’il est assez de forces pour faire de longues courses et pour gravir des montagnes. La promenade autour de la ville est à la vérité très agréable et assez courte, mais lorsqu’on aime la variété, on doit choisir les promenades dans les vallées et sur les collines, où la diversité et la beauté des chemins, des vues et des objets sont inépuisables.
Journal d’un voyage fait en 1775 et 1776 dans les pays méridionaux de l’Europe (1780)
J’avais un ami genevois…malade à Lyon. Il désespérait de sa vie ; il est allé à Nice et y a retrouvé la santé. On m’a conseillé aussi d’aller à Nice et j’aurais considéré ce voyage comme indispensable si j’avais pu imaginer que M. et Mme Trudaine honorassent de leur présence ce petit coin du monde… Mais un pauvre malade dans sa quatre-vingt-troisième année ne peut guère passer les Alpes.
Correspondance. Lettre à l’intendant Trudaine (1776)
De son vrai nom François-Marie Arouet. Philosophe poète, historien, encyclopédiste et romancier, c’est un des plus célèbres représentants français du rationalisme des Lumières. Voltaire qui menait une brillante vie sociale, était également un grand épistolier. À la fin de sa vie, Il consacrait plusieurs heures par jour à sa correspondance, aujourd’hui publiée.
Marie Francois Arouet de Voltaire, dans Recueil. Collection de Vinck. Un siècle d'histoire de France par l'estampe, 1770-1870, Vol. 24 (pièces 4079-4198), Paris, Bibliothèque nationale de France
J’avais un ami genevois…malade à Lyon. Il désespérait de sa vie ; il est allé à Nice et y a retrouvé la santé. On m’a conseillé aussi d’aller à Nice et j’aurais considéré ce voyage comme indispensable si j’avais pu imaginer que M. et Mme Trudaine honorassent de leur présence ce petit coin du monde… Mais un pauvre malade dans sa quatre-vingt-troisième année ne peut guère passer les Alpes.
Correspondance. Lettre à l’intendant Trudaine (1776)
Hercule TRACHEL, Vue de Nice depuis la route de Gênes (Grande Corniche), 1812, Nice, Musée Masséna
XIXe siècle
La nymphe Lympia m’envoya un rêve. Assis sur le coin d’une borne, j’oubliai Nice et le siècle présent. Je n’entendais plus les appels des gens du port, les cris aigus et musicaux des marchands de poissons secs et d’oranges ; je ne voyais plus les petits vapeurs noirs de charbon, les cordages, les pavillons, les fins voiliers aux proues dorées et peintes, les tartanes dont la grande antenne retombe comme une aile lassée…J’étais dans la crique de Lympia : une forêt de pins mêlés de myrtes descendait des coteaux jusqu’à la mer, et les premiers colons, apportant la vigne et l’olivier, tiraient en chantant leurs bateaux légers sur le sable, près de la source.
Au bon soleil (1881)
Paul Arène est né à Sisteron le 26 juin 1843 et mort à Antibes les 17 décembre 1896. Après avoir préparé une licence de philosophie, il a été d’abord enseignant, puis, à partir de 1865, journaliste. Installé à Paris, il devient l'ami de François Coppée, Catulle Mendès et d'Alphonse Daudet. Certains spécialistes pensent qu’il aurait contribué lui-même à une œuvre célèbre de Daudet les «Lettres de mon moulin».
Il a publié des pièces de théâtre, des romans, des poèmes, ainsi que des chroniques et des articles notamment pour Le Figaro littéraire. Ami de Frédéric Mistral, il participe au mouvement du Félibrige et écrit également en provençal. Dans le roman « Au bon soleil », publié en 1881, il évoque Nice et son port.
Recueil. Portraits de Paul Arène (XIXe s.), photographe Pierre Petit, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Bien que mon ami connût Nice par cœur, comme il connaît Venise et Constantinople, nous avions eu toutes les peines du monde à le rencontrer ce port de Nice !
Au lieu de suivre tranquillement le bord de la mer, les terrasses et le coin de Rauba-Capeu où, sur l’étroite route en corniche, entre le roc vif et les flots, un vent enragé souffle à toute heure, on avait pris le chemin des écoliers. On avait flâné au marché, admirant les poissons, les fleurs et surtout, sujet de tableau ravissant, ces originales revendeuses d’herbes qui, pour se préserver du soleil, se coiffe d’une grosse salade renversée, la racine en l’air et les feuilles retombant autour des cheveux bruns frisés, ainsi qu’une verte dentelle. Après cela, on s’était enfoncé entre les maisons de la vieille ville passées à la chaux jusqu’au premier, suivant la coutume arabe et provençale, rues silencieuses et fraîches, où jamais descend le soleil, où jamais ne roule un bruit de voitures, escaliers tortueux grimpant vers le château, voûtes sombres enchevêtrées, avec le petit judas des jalousies mystérieusement relevées aux fenêtres closes, et les boutiques obscures et basses, ouvertes, sans vitrines ni devanture, ayant pour étal deux bancs de pierre. Puis, un quartier vague, plein de charrons, de forgerons dans le brouhaha poudreux des faubourgs qu’habitent les rouliers.
Félix BENOIST, Port de Nice. Vue prise de la hauteur de l'ancien Château (Alpes-Maritimes), 1865, Bibliothèque nationale de France
Enfin, tournant à droite, nous sentons une bonne odeur de goudrons et de marine. Des pointes de mâts qui se dressent sur le ciel derrière les toits nous dirigent…
- Le port !
Mais pas un port comme les autres ports : le port idéal, le port classique, les ports que les collégiens enfermés et qui n’ont jamais connu les flots peuvent se figurer d’après Homère ou d’après Virgile.
Tout rond, tout petit, calme et clair dans l’ombre de coteaux couronnés de verdure pâle, des quais, au fond, vont s’abaissant en une grève large à peine des quelques pas où, parmi le sable et les galets, jaillissent les mille filets d’une belle source murmurante. Elle n’a que le temps de naître, de refléter un instant l’azur, et puis elle meurt dans la mer, joyeuse du peu qu’elle a vécu, en digne sœur païenne d’Aréthuse.
Jean GILETTA, Le canal Lympia au fond du port et les blanchisseuses, vers 1880, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
Des femmes y lavaient leur linge ; ailleurs, des matelots remplissaient leurs barils. C’est Lympia, l’antique aiguade, belle aujourd’hui comme il y a deux mille cinq cents ans, la nymphe immortelle dont la grâce et la douce voix retinrent sur ces rivages divins les marins grecs fondateurs de villes.
Au bon soleil (1881)
Le voilà donc de nouveau ce pays aimé de Dieu et du soleil, où l’on vient de si loin puiser un peu de chaleur et un renouvellement de vie, et à qui j’ai dû l’année dernière, un heureux commencement de guérison et un premier retour de santé, que je verrai, je l’espère se consolider cette année. Salut ! terre heureuse et bénie, qui ignores les frimas et qui conserves toujours en ton sein et sous l’influence de ton ciel une perpétuelle jeunesse et une radieuse clarté, comme pour avertir les déshérités de la jeunesse et de la vie qu’ils retrouveront près de toi et la force de l’espoir !
Mon voyage à Nice (1863)
On sait très peu de chose sur cet auteur qui n’a, semble-t-il, publié qu’un seul ouvrage. Clément Balme, de son vrai nom Clément Barbe, est né à Bettant, dans l’Ain, le 27 mars 1838, où son père était marchand de vin. La famille possédait plusieurs biens immobiliers sur les communes de Bettant, Château Gaillard et Ambérieu sur Bugey.
Il est décédé à Bettant le 16 août 1863, vraisemblablement de la tuberculose, peu après son deuxième séjour à Nice. C’est ce deuxième séjour qui a fait l’objet d’un récit intitulé « Mon voyage à Nice » publié en 1863 et dédié à son ami François Gallet.
D’après Jacques GUIAUD, La Promenade des Anglais, extrait de Nice, vues et costumes, lithographie, 1861, Nice, Musée Masséna
Vous parlerai-je maintenant de diverses sociétés que l’on rencontre à Nice ? Comme bien vous pensez, ces sociétés sont fort variées. Il y en a de toutes les nations, ce qui amène beaucoup de bigarrures dans les physionomies, les tournures, les costumes, les langages et enfin les mœurs, les habitudes et les manières d’être. Parmi les étrangers les plus remarquables sont toujours les Anglais. Rien de plus risible que leur accent britannique et la manière curieuse dont ils s’efforcent de prononcer le français : Aoh ! comment vo appeler ce rue-ci. Oh ! yes, je avé beaucoup de satisfécheunn de été venou moa dans cette beau pays. Il était aussi oun beau pays dans lé Angleterre, etc. Mais en dehors même de leur langage il n’est pas difficile de les reconnaitre à des signes qui ne permettent guère de se méprendre. […]
C’est d’abord leur costume le plus souvent excentrique, leur tournure raide et empressée, leurs larges favoris roux et surtout l’air de béatitude matérielle qui se reflète sur leur face le plus souvent large et colorée. Pour les Anglaises elles ne se reconnaissent pas moins facilement. Il est vrai qu’elles ne portent plus autant qu’autrefois, du moins à Nice, ces costumes d’aspect original et bizarre qui les faisait remarquer ; on ne leur voit plus guère non plus ces chapeaux en forme d’entonnoir d’où pendait un immense voile vert dont le vent agitait et souvent repoussait contre leur figure les plis fantasques ; elles sont à peu près vêtues aujourd’hui comme tout le monde, c’est-à-dire avec des costumes qui ne se distinguent pas beaucoup des formes et des modes adoptées par les dames françaises ; et cependant il y a dans l’ensemble de leur tournure, de leur tenue, de leurs manières, même chez les plus jolies, quelque chose qui fait dire à première vue : voici une anglaise ! Les étrangers des autres nations (hommes ou femmes) sont moins remarquables, et ce n’est guère qu’à leur langage qu’on peut reconnaitre leur nationalité.
Du reste, je crois bien que la partie la plus nombreuse de la population étrangère à Nice ce sont les Anglais ; aussi ont-ils fait prévaloir dans tous les pays leur habitude de morgue britannique, leur étiquette gourmée, et la domination de leur moa personnel.
Avec les Niçois c’est encore pis. D’abord votre qualité d’étranger (pour eux est étranger quiquonque n’est pas né dans le pays et ne parle pas leur affreux patois) votre qualité d’étranger, dis-je, fait qu’ils ne vous considèrent jamais, (habitassiez-vous leur ville depuis dix ans) que comme des pigeons plus ou moins gras et plus ou moins chargés de plumes dont ils espèrent quelque profit, de sorte que, fussiez-vous admis dans leur familiarité, dans leur intimité même, ce qui n’arrive guère que de la part des propriétaires désireux de retenir plus longtemps un bon locataire, il ne faut pas penser que pour cela ils vous fassent la moindre concession, ni que la crainte de vous désobliger les porte à glisser quelque peu sur une question d’intérêt, même le plus minime. Non, pour eux, dans leurs rapports avec l’étranger, l’intérêt domine tout, et de leur part l’amitié n’est qu’une manifestation au service de cet intérêt. […]
Clément ROASSAL, Les Niçois, 1828-1832, Nice, Musée Masséna
Vraiment la jeune fille niçoise ne manque ni de tact, ni de goût. Il y a presque en elle l’étoffe d’une parisienne. Malheureusement il ne faut pas qu’on l’entende parler. L’affreux patois du pays, quoique moins repoussant dans la bouche des femmes que dans celle des hommes, donne toutefois à la femme un air et un ensemble de physionomie vulgaire qui détruit tout le prestige extérieur de sa distinction native. Ce ne sont que des a-ki, a-ko, ka-t-a-ki, ka-t-a-ko, etc., qui leur déchirent si disgracieusement le gosier et font faire à leur bouche de si vilaines grimaces, qu’il est impossible de ne pas se sentir rebuté ou repoussé même de la plus belle, ou plutôt qu’il n’y a pas de beauté dont la pensée puisse se maintenir au milieu d’une pareille cacophonie.
Le jour où la jeune fille et la femme niçoises auront enfin abandonnée ce malheureux patois pour ne plus parler que le français, que j’ai toujours trouvé si doux et si mélodieux dans leur bouche, quand j’ai pu en entendre quelqu’une le parler un peu correctement, ce jour-là, la femme niçoise pourra rivaliser pour la tenue, le bon ton, la grâce même, avec la parisienne, de qui elle a déjà naturellement la tournure, la distinction, l’élégance et enfin la finesse d’attitude et d’expression. […]
Nous débarquons, et mon premier soin, à peine arrivé est d’aller près de mes propriétaires de l’année dernière prendre la chambre retenue d’avance, ayant été content des relations que j’avais eues jusque-là avec eux. Je tenais du reste à ne rien changer, autant que possible, à mes anciennes habitudes, ayant, comme vous le savez peu de dispositions à me faire facilement à de nouveaux visages. L’appartement que j’occupe a, du reste, l’avantage d’être immédiatement au-dessus du restaurant où je dois prendre mes repas, lequel communique avec l’un des plus beaux cafés de Nice, ce qui met à ma disposition la facilité à la fois de dîner, de lire les journaux, de faire ma partie de billard, et tout cela sans avoir besoin de mettre même les pieds à la rue. Je suis, de plus, à la proximité du théâtre français qui est celui que je fréquente le plus.
De ma fenêtre, qui est au soleil levant, j’aperçois à gauche une partie des montagnes qui dominent la ville de Nice et qui étagent dans un horizon de plusieurs lieues leur pentes verdoyantes et leurs campagnes fertiles ; et, à droite, la place Masséna, vaste place environnée de portiques d’un bel effet, et où l’on peut trouver un abri pour la promenade pendant l’ardeur du soleil, et pour les rares jours de pluie. Cette place ouvre sur un beau quai établi le long d’un large torrent nommé le Paillon, qui traverse Nice dans toute son étendue.
Anonyme (signée G.W.), Les quais du Paillon et le Pont Neuf, aquarelle sur papier, 1872, Nice, Musée Masséna
Ce torrent, presque toujours à sec, dépare beaucoup le coup d’œil de cette ville, montrant, pendant presque toute l’année, entre deux magnifiques quais, son lit de cailloux entre lesquels coule dans un coin à peine un mince filet d’eau, le reste servant aux blanchisseuses de Nice de lieu d’étendage pour faire sécher leur linge.
Le Paillon occupe donc à Nice un terrain précieux. Aussi, est-il fortement question de détourner ce torrent et de le faire jeter quelques kilomètres au-dessus de la ville, et on en convertirait l’emplacement en un magnifique boulevard, bordé de maisons et orné de squares et de jardins plantés d’arbres, avec un grand bâtiment destiné à servir aux étrangers de cercle de ce lieu de réunion etc. etc.
Ce projet, s’il se réalise, promet à Nice un avenir brillant.
À peine me suis-je dérangé assez de ma chambre pour aller m’asseoir, aux plus beaux moments de la journée, au Jardin Public. Ce jardin, qu’on nomme aussi le jardin des plantes, est formé, sur le bord de la mer au bout du quai Masséna, à deux pas de chez moi, d’une certaine quantité d’arbres étrangers et autres qui, quoique plantés depuis à peine quelques années, y donnent déjà une ombre épaisse. Ces arbres sont disposés en allées, que bordent de charmants parterres entourés de buissons de roses en ce moment toutes fleuries. Au centre du jardin se trouve un petit bassin circulaire avec une bordure de fleurs environnée d’un treillage. Du milieu du bassin s’élance un jet d’eau tournoyant assez maigre et qui, malgré cela, ne laisse pas de former en retombant une gerbe d’assez bel effet.
Jean D’ESPIEZ, Le Jardin public à Nice ou Jardin des plantes, vers 1860, Nice, Musée Masséna
Tout autour du bassin et dans les allées environnantes, sont disposés des bancs et des chaises pour les promeneurs qui viennent y chercher ou le soleil ou l’ombre, (car il y a des amateurs de tous les deux), et même les plus grands amateurs du soleil ne laissent pas d’être munis d’une ombrelle, précaution utile en toute saison dans ce pays pour éviter les maux de tête et les congestions cérébrales. Les ombrelles en usage pour les hommes sont des ombrelles en toile blanche ou jaunâtre doublée en dessous d’une étoffe de soie ou de coton de couleur bleue ouverte pour protéger la vue, et on ne trouve pas du tout ridicule ici qu’un homme fasse usage de ce meuble réservé aux femmes dans nos climats, et que certainement aucun homme n’oserait y ouvrir.
Pour en revenir au jardin public, il n’est pas rare d’y voir, le matin surtout au moment où la foule est le moins compacte, quelque gouvernante anglaise, bien prude et bien pincée, venir, un livre à la main, y étaler sa figure froide et revêche.
Dans le milieu du jour, ce jardin s’égaie par les jeux animés et bruyants d’enfants frais et roses, dont quelque jeune lady, leur mère, considère et surveille les ébats, tout en piquant çà et là quelques points de broderie d’un air pensif et distrait.
Il est fabuleux combien peu les gens de Nice mangent, et quelle nourriture encore ! un mauvais mélange, souvent sans beurre ni sel, de quelques légumes durs et coriaces, bouillis avec quelques pâtes de macaroni de basse qualité et de bas prix, voilà, sous le nom de minestra, le régal le plus habituel non seulement des gens de la campagne et du plus grand nombre de ceux de la classe ouvrière, mais même de beaucoup d’industriels et de marchands aisés de la ville. Et, comme je l’ai dit, leurs bestiaux quand ils en ont, ne sont ni mieux ni plus copieusement traités et nourris qu’eux-mêmes. Vous parlerai-je maintenant de ce qui concerne le poisson ? Quoique nous soyons dans un port de mer, c’est à peine si l’on en voit et, pour les obtenir, il faut le plus souvent donner des prix tellement élevés, que les tables d’hôtes, même les mieux tenues, n’en peuvent guère servir que d’inférieur qualité. D’abord pour en avoir à Nice il faudrait qu’on sût les pêcher. C’est ce que ces Messieurs les pêcheurs niçois n’ont jamais su. La plupart d’entre eux n’ont que de petites barques à deux rames, sans mâts ni voiles, avec lesquelles ils ne peuvent pas s’éloigner du rivage.
Clément ROASSAL, Les pêcheurs, 1828-1832, Nice, Musée Masséna
Du reste, les filets dont ils se servent ne permettent de pêcher que dans des bas-fonds et par une mer très calme, de sorte qu’il suffit de quelques jours de tourmente pour que le poisson manque totalement au marché, et que le peu qu’il y en a à se vende, même dans les plus mauvaises qualités, à des prix fabuleux.
Pour ce qui est de la volaille, il est probable que la nourriture avec laquelle on l’engraisse a surtout la propriété de développer les os ; car j’ai rarement su ce que c’était que c’était d’y trouver de la chair autour. Restent donc, quelques méchants lapins, qu’on nourrit de débris de légumes, de choux, de concombres etc., et dont le chair fade a besoin de tous les piments du civet pour avoir quelque goût. Quant au laitage, il n’est point en abondance, et je le soupçonne d’être souvent moins le produit naturel de la vache, que le résultat factice d’un mélange de farine et de jaunes d’œufs.
Quelle différence avec ce bon lait parfumé que donne aux bestiaux de notre pays l’herbe grasse et abondante de nos prairies !
Pour les grands spectacles de la nature, ils ne manquent point à Nice. Au Nord, le magnifique rideau de montagnes (dépendant de la chaine inférieure des Alpes-Maritimes) contre lesquelles la ville est adossée, et qui renferment tout ce que l’imagination peut rêver en fait de point de vue pittoresques, de découpures et d’accidents de terrain : les unes s’élançant à des hauteurs prodigieuses en masses à pic ou même surplombantes, et qui menacent ruine, au risque d’engloutir dans leurs débris gigantesques des villages entiers ; les autres se creusant en vallées profondes ou se déchirant en abîmes sans fonds où l’œil ni le soleil ne peuvent pénétrer ; au Midi, c’est la mer, la vaste mer, de tous les spectacles le plus merveilleux par ses changement et sa perpétuelle mobilité. Quelquefois calme et unie comme la surface d’un lac que ne ride aucun souffle de vent, elle fait miroiter au loin sa vaste nappe bleue, que souvent les rayons étincelants du soleil du midi saupoudrent de paillettes d’argent ; d’autres fois, cette surface si unie commence tout-à-coup à se rider de plis nombreux. Sa couleur passe subitement sous l’action du vent ou bien encore du vent d’Afrique, de la teinte azur à l’indigo foncé. Le long de ses bords s’étend une immense frange d’écume, et bientôt les flots soulevés dans toute son étendue se changent en hautes vagues entre lesquelles se creusent des abîmes profonds.
Nicolas BERAUD, Le Casino de la Jetée-Promenade, huile sur toile, vers 1895, Nice, Musée Masséna
Ces vagues roulent toujours plus pressées et plus hautes et ne tardent pas à se briser l’une contre l’autre avec un grand fracas, faisant jaillir à leur sommet une mousse blanchâtre. D’autrefois, quand le vent souffle de la mer, on les voit arriver hautes comme des maisons contre le rivage, ou il semble qu’elles vont tout engloutir ou tout inonder. Mais point du tout, au moment de leur grande fureur, arrivées à un certain point, elles tournoient sur elles-mêmes comme pour se ployer en deux et, à la même place, tombe avec grand bruit une immense cascade qui immédiatement s’aplatit, glisse quelque pas en avant sur les cailloux de la rive, puis se retire doucement dans ses limites ordinaires pour revenir de nouveau menaçante et terrible.
Maintenant, mon cher ami, je vais vous supposer assis avec moi dans un des fauteuils ou dans une des salles d’orchestre d’un des théâtres de Nice. Prenons d’abord le théâtre de l’Opéra qui est le plus brillant. […]
Tout-à-coup une illumination subite vient éclairer, comme au coup d’une baguette magique, toute la salle, et aussitôt, partout sur le devant des loges resplendissent les riches et magnifiques toilettes de de femmes, de jeunes filles, en robe décolletées de bal, parées et étincelantes de bijoux, avec des fleurs et le plus souvent des diamants jusque dans les cheveux, agitant, les unes de merveilleux éventails, les autres de riches lorgnons à travers lesquels leur œil cherche à retrouver et reconnaitre dans les autres loges quelque visage connu auquel elles adressent quelques signes ou quelques saluts de respect ou d’intimité.
Cela vaudrait déjà la peine de venir au théâtre quand on ne devrait pas y avoir d’autre spectacle que cette couronne brillante de femmes dans leurs plus beaux atouts, souvent forts jolies, et dont un grand nombre appartient à des familles princières ou du moins des plus considérables de divers pays, ce qui laissent supposer tous les développements que donnent à l’esprit, à la pensée, au sentiment, l’instruction, l’éducation, la fortune, la puissance.
Un des endroits les plus fréquentés de Nice par la société élégante, c’est le quai du Paillon qui se rend au Jardin Public et que j’ai dit s’appeler le quai Masséna. C’est plutôt un passage qu’une promenade ; car les trottoirs n’y sont pas fort larges, mais comme il est très bien situé, au midi, et qu’il est bordé de magasins de bijouterie, d’objets d’art, d’articles de toilettes, plus spécialement turcs ou arabes, qu’il s’y trouve aussi des marchands d’antiquités, de dentelles et de colifichets, c’est peut-être l’endroit où il se rencontre le plus de jolies femmes, à qui le prétexte de contempler quelques bijoux, ou quelque autre objet qui excite leur envie, permet de s’arrêter pour laisser à l’amateur le loisir d’admirer la blancheur de leur teint, la sveltesse de leur taille, et quelquefois jusqu’à la finesse de leur jambe et la petitesse de leur pied. C’est aussi sur ce quai que se trouve l’entrepôt de fleurs de notre célèbre Alphonse Karr, avec cette enseigne originale : Alphonse Karr Jardinier.
Nouveau motif pour les jeunes dames de s’arrêter à admirer les belles fleurs produites par les soins de l’illustre horticulteur, et surtout l’art avec lequel il sait arranger ses bouquets pour les rendre gracieux et agréables à la vue.
À propos de ces bouquets, j’en ai vu ici d’une dimension qui passe tout ce que l’on peut imaginer. L’année dernière, à l’occasion d’une espèce de rivalité qui existait entre les deux premières cantatrices du théâtre italien, ou plutôt entre leurs partisans, j’ai vu apporter sur la scène pour chacune d’elles un immense bouquet de violettes, parmi lesquelles se trouvaient plusieurs couronnes de camélias, et même, au milieu, figurées aussi par des camélias, les premières lettres du nom de chacune de ces artistes. Chaque bouquet n’avait pas moins de près de deux mètres de hauteur. Il était fixé à une forte pièce de bois qui servait de moyen à l’homme qui le portait, pour le soutenir. Ces bouquets ne pouvaient pas avoir coûté moins de deux à trois cents francs chacun. Pour en faire deux pareils chez nous, il aurait fallu épuiser toutes les violettes du département. Mais à Nice les fleurs ne sont pas rares, on ne voit que cela. Et pourtant elles ne sont pas à bon marché. (Mais qu’est-ce qui est à bon marché ici pour l’étranger ?).
Le principal agrément de la Promenade des Anglais, c’est d’être sur le bord de la mer, et de permettre d’y venir respirer le frais du matin, à l’heure où le soleil commence à avoir un peu de chaleur. Des bancs sont établis de distance en distance, disposés de telle sorte qu’on peut s’y tourner à volonté du côté de la mer ou du côté des promeneurs. Je m’y assieds assez souvent, tantôt pour contempler la mer, dont l’immense étendue m’inspire des rêveries que berce le bruit monotone des vagues frangées d’écume qui viennent heurter, presqu’à mes pieds, les galets du rivage ; tantôt pour épier, aux heures de la promenade, la pensée intime de ces beaux messieurs et de ces belles dames que je vois passer devant moi, en grand nombre, vers le soir surtout, à l’heure du déclin du soleil.
Maurice DULAC, La promenade des Anglais à Nice, gravure dans recueil Bellanger, EST.1454, Bibliothèque Roman Gary
Mais je m’y attarde peu, et surtout je n’y vais jamais une fois la nuit tombée. Ce n’est pas que cette promenade ne soit magnifiquement éclairée maintenant par une longue série de lanternes à gaz, qu’on y a fait placer depuis peu ; c’est surtout par la crainte de l’humidité du soir, qui, une fois le soleil couché, tombe presque régulièrement en une brume épaisse, mouillant presque jusqu’à l’égal d’une pluie, et imprégnant d’eau les vêtements de ceux qui s’y trouvent exposés.
Par suite donc de cette humidité du soir, on se promène peu à Nice dès que la nuit est venue, si ce n’est à ce que l’on m’a dit, dans les grandes chaleurs de l’été. En toute autre saison, les théâtres, les cercles, les cafés absorbent la jeunesse et la partie libre de la population indigène ou étrangère.
À droite de la rue Ségurane et dominant non seulement cette rue, mais toute la ville et tout le port, s’élève, à la hauteur d’une montagne, un immense rocher où se trouvait autrefois ce qu’on appelle aujourd’hui le vieux château. C’est là qu’il faut monter pour bien comprendre le plan et tout le site de Nice et des environs. […] C’est, du reste, une promenade fort agréable. On peut y monter par un large chemin à voiture en pente assez douce qui tourne tout autour en zig-zags jusqu’au sommet. Ce chemin est bordé de cyprès qui dressent contre le talus leurs hautes pyramides verdoyantes. En quelques endroits d’immenses cactus, (aloès ou figuiers de Barbarie) écartent comme des choux gigantesques leurs larges feuilles pointues, hérissées de piquants, et que termine une énorme aiguillon.
Les amateurs qui ne veulent pas suivre les longs détours du chemin à voiture, peuvent gravir plus rapidement le rocher par des sentiers tracés dans les bosquets de feuillage dont il est couvert, et qui aboutissent à de charmantes petites allées ombragées, ce qui fait de cette ascension, peut-être un peu rude, une promenade charmante. Ce charme augmente par la vue toujours plus étendue que l’on a, à mesure que l’on s’élève, et qui fait que bientôt on embrasse non seulement toute l’étendue du port et de la mer qui est au pied du rocher, mais qu’on arrive à dominer jusqu’aux montagnes qui environnent Nice.
Paul-Emile BARBERI, Panorama de Nice, vue du Château en 1836, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
On voit non seulement la masse de maisons, qui forment cette ville, mais on distingue même toutes les sinuosités des rues, des places, des quais, et on reconnait facilement les principaux édifices, églises, manufactures, villas, campagnes et villages voisins, presque autant que la vue peut s’étendre. Il est difficile d’imaginer un plus beau panorama, et chaque fois que je me suis décidé à gravir cette promenade du vieux château, j’avoue que j’ai à peine senti la fatigue, tellement je respirais à l’aise à cette élévation, et tellement je me sentais heureux de planer sur tout le pays environnant.
Mon voyage à Nice (1863)
La voilà, cette Méditerranée après laquelle je soupirais ! Ces arbres noirs ! Et il fait justement un clair de lune qui illumine ce chemin dans la mer.
Calme parfait : ni roulement de voiture ni mouvement perpétuel de ces hommes qui me paraissaient des petits bonhommes de ma fenêtre du Grand Hôtel. Calme, silence, obscurité mal éclairée par la lune qui se cache, à peine quelques lanternes qui courent après les autres.
J’entre dans ma chambre, dans mon cabinet de toilette, j’ouvre la fenêtre pour voir le Château, toujours le même, et l’heure sonnait, je ne sais plus quelle heure, et mon cœur s’est serré. Ah ! je puis bien nommer cette année, l’année des soupirs ! Je suis un peu fatiguée ! …j’aime Nice ! […]
Nice, pour moi, c’est la Promenade des Anglais. Chaque maison, chaque arbre, chaque poteau de télégraphe est un souvenir bon ou mauvais, amoureux ou commun… ! Oh ! suis-je vraiment à Nice ?...
1874, jeudi 9 septembre - Journal (1890)
Marie Bashkirtseff, est née le 11 novembre 1858 à Gavrontsi, en Ukraine, dans le gouvernement de Poltava de l'Empire russe. Sa famille était noble et fortunée. Elle est décédée le 31 octobre 1884 à Paris.
Elle a grandi avec sa mère en voyageant à travers l'Europe et a étudié la peinture en France à l'Académie Julian. Atteinte de tuberculose, elle a pressenti très jeune sa fin prochaine. Elle a laissé plusieurs tableaux et un journal, dont de nombreuses éditions ont été publiées jusqu’à nos jours, dans lequel elle évoque notamment ses nombreux séjours à Nice.
1874, dimanche 6 septembre
[…] J'aime Nice ; Nice, c'est ma patrie, Nice m'a fait grandir, Nice m'a donné la santé, les fraîches couleurs. C'est si beau ! On se lève avec le jour et on voit paraître le soleil, là-bas, à gauche, derrière les montagnes qui se détachent en vigueur sur le ciel bleu argent, si vaporeux et doux qu'on étouffe de joie.
Photo de Marie Bashkirtseff, dans Journal de Marie Bashkirtseff, 1906, Bibliothèque Charpentier, Fasquelle Éditeur, Nice, Bibliothèque Roman Gary
Vers midi, il est en face de moi ; il fait chaud, mais l'air n'est pas chaud, il y a cette incomparable brise, qui rafraîchit toujours. Tout semble endormi. Il n'y a pas une âme sur la Promenade, sauf deux ou trois Niçois assoupis sur les bancs. Alors je respire, j'admire. Le soir, encore le ciel, la mer, les montagnes. Mais le soir, c'est tout noir ou gros bleu. Et quand la lune luit, ce chemin immense dans la mer, qui semble être un poisson aux écailles de diamants, et que je suis à ma fenêtre […], tranquille, seule, je ne demande rien et je me prosterne devant Dieu ! Oh ! non, on ne comprendra pas ce que je veux dire. On ne comprendra pas, parce que l’on n'a pas éprouvé. Non, ce n'est pas cela : c'est que je suis désespérée toutes les fois que je veux faire comprendre ce que je sens ! … C'est comme dans un cauchemar, quand on n'a pas la force de crier !
Hercule TRACHEL, Embouchure du Paillon à Nice, huile sur toile, milieu XIXe siècle, Nice, Musée Masséna
1874, dimanche 6 septembre Journal (1890)
Il y a deux villes à Nice, la vielle ville et la ville neuve, l’antica Nizza, et la Nice new : la Nice italienne et la Nice anglaise. La Nice italienne, adossée à ses collines avec ses maisons sculptées ou peintes, ses madones au coin des rues et sa population, au costume pittoresque, qui parle, comme dit Dante, la langue del bel pease là dove il si suona. La Nice anglaise, ou le faubourg de marbre avec ses rues tirées au cordeau, ses maisons blanchies à la chaux, aux fenêtres et aux portes régulièrement percées, et sa population à ombrelles, à voiles et à brodequins verts, qui dit : « Yès ».
Impression de voyage (1851)
Né le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts (Aisne), il est décédé à Dieppe le 5 décembre 1870. Orphelin de père dès 1806, il connaîtra une enfance difficile. En 1823, il s’installe à Paris. Proche des romantiques, il connait un premier succès littéraire en 1825 avec une pièce de théâtre écrite en collaboration avec Adolphe Leuven : « La Chasse et l'Amour ».
Il deviendra par la suite un auteur prolifique et ce sont surtout ses romans publiés en feuilletons dans la presse, qui l’ont rendu célèbre : « Les Trois Mousquetaires » (1844), « Vingt Ans après » (1845), « Le Vicomte de Bragelonne » (1847–1850), ou encore « Le Comte de Monte-Cristo » (1844–1846)…
Il a évoqué Nice dans ses « Impressions de Voyage » qui relatent le voyage qu’il a effectué en Italie au début des années 1830.
Édouard ZIER, Alexandre Dumas. Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Adrien Didierjean
Car, pour les habitants de Nice, tout voyageur est Anglais. Chaque étranger, sans distinction de cheveux, de barbe, d’habits, d’âge et de sexe, arrive d’une ville fantastique perdue au milieu des brouillards, où quelquefois par tradition on entend parler du soleil, où l’on ne connaît les oranges et les ananas que de nom, où il n’y a de fruits mûrs que les pommes cuites, et par conséquent on appelle London.
Pendant que j’étais à l’hôtel d’York, une chaise de poste arriva. Un instant l’aubergiste entra dans ma chambre.
- Qu’est-ce que vos nouveaux venus ? lui demandai-je.
- Sono certi Inglesi, me répondit-il, ma non saprei dire se sono Francesi o Tedeschi.
Ce qui veut dire : « Ce sont de certains Anglais, mais je ne saurais dire s’ils sont Français ou Allemands ».
Il est inutile d’ajouter que tout le monde paie en conséquence de ce que chacun est appelé : « milord ».
Palais des Spitalieri de Cessole, ancien Hôtel York, Photo Ville de Nice
[…] Rien de plus charmant que Nice par une belle soirée d’automne, quand sa mer, à peine ridée par le vent qui vient de Barcelone ou de Palma, murmure doucement, et quand ses lucioles, comme des étoiles filantes, semblent pleuvoir du ciel. Il y a alors à Nice une promenade qu’on appelle la Terrasse, et qui n’a peut-être pas sa pareille au monde, où se presse une population de femmes pâles et frêles qui n’auraient pas la force de vivre ailleurs, et qui viennent chaque hiver mourir à Nice ; c’est ce que l’aristocratie de Paris, Londres et de Vienne, a de mieux et de plus souffrant. En échange, les hommes en général s’y portent à merveille, et ils semblent être venus là, conduits par un sublime dévouement, pour céder une part de leur force et de leur santé à toutes ces belles mourantes, que lorgnent en passant de charmants petits abbés, si coquets et si galants, que l’on comprend à la première vue qu’ils ont des absolutions toutes prêtes pour elles, quelques péchés qu’elles aient commis.
Car à Nice commencent les abbés ; non pas de gros vilains abbés comme à Naples ou à Florence, mais de jolis petits abbés, comme on en rencontre parfois à Monte Pincio à Rome, ou sur la promenade de la Marine à Messine ; de vrais abbés de ruelle, comme il y en avait au petit lever de Mme de Pompadour, et au petit coucher de Mademoiselle Lange ; de délicieux abbés, enfin, nourris de bonbons et de confitures, à la chevelure propre et parfumée, à la jambe rondelette, au chapeau coquettement incliné sur l’oreille, et au petit pied mignardement chaussé d’un soulier verni à bouche d’or…
Impression de voyage (1851)
Un grand pont. Quelle différence avec la frontière espagnole de la Bidassoa, si chaude, si espagnole déjà ! Pendant le retard pour nos passeports, j’ai lu du Vincens, dans la voiture cuisante de soleil sous ses cuirs, restée dételée sur la grande route. – Déjeuner : on commence à parler italien ; la dame niçarde avec sa capeline doublée de rose, menton allongé, gueule, figure laide et aimable, nous plaignait beaucoup.
Notes de Voyages – Œuvres complètes (1910)
Né à Rouen le 12 décembre 1821 ; mort à Croisset, le 8 mai 1880. Il est l'un des plus grands romanciers français du XIXe siècle. Ses ouvrages se distinguent par la profondeur des analyses psychologiques, le réalisme et la lucidité dans la descriptions des individus et de la société. Parmi ses œuvres les plus importants : « Madame Bovary » (1857), « Salammbô » (1862), « L'Éducation sentimentale » (1869).
Flaubert a été un grand voyageur (Bretagne, Corse, Espagne, Italie, Moyen Orient…). Il a évoqué Nice dans ses « Notes de Voyage, Voyage en famille, Avril-Mai 1845 ».
Bibliothèque historique de la ville de Paris. Manuscrits de Gustave Flaubert. Gustave Flaubert. Œuvre. Carnets de voyages. Carnet n° 1 : notes prises au cours d'un voyage en Italie en 1845, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Nice. – L’Hôtel des Étrangers – M. Ferdinand, joli homme, jolie chevelure, belle tenue ; il doit avoir devant sa maîtresse un extérieur convenable et décent, et lui dire seulement dans ses moments de bienveillance égrillarde : « Petite gamine ! ».
Hôtel des étrangers à Nice, estampe d'après un croquis de M. Lieto, dans recueil Bellanger, 1865, EST.1513, Bibliothèque Roman Gary
[…] En revenant de l’hôtel, descente par des rues escarpées. À sa fenêtre regardait une enfant de 15 ans, figure ovale, teint rouge et olivâtre tout à la fois, chevelure noire crêpue, un peu soulevée aux tempes, retenue par un cordon ; bouche mince et fine garnie de perles dans le sourire ; expression grave de colère ; ensemble d’intelligence, de volupté, de férocité et de douceur : c’est la seule jeune fille que j’ai trouvé belle ; elle était penchée sur le rebord de sa fenêtre, nu-bras dans sa grosse chemise de toile un peu jaunâtre, et nous regardait passer ; toute sa tête avait l’air en sueur.
Notes de Voyages – Œuvres complètes (1910)
Lundi 16 novembre. – […] Elle [la princesse Mathilde] se lève tout à coup et quoiqu’il giboule au- dehors, elle me parle dans le vent et la pluie d’aller passer quinze jours à Nice, de voir, en famille d’amis, ce pays de fleurs et ce ciel bleu pendant l’hiver.
Journal des Goncourt, Mémoires de la vie littéraire 1866 – 1886
Les frères Goncourt, Edmond de Goncourt (1822-1896) et Jules de Goncourt (1830-1870), sont deux écrivains, romanciers, historiens et diaristes français du XIXe siècle classés dans l'école naturaliste, précurseurs du mouvement ensuite théorisé par Émile Zola. Ils ont écrit ensemble plusieurs romans, dont «Germinie Lacerteux, » est le plus connu. Ils ont également tenu leur journal, écrit ensemble jusqu’à la mort de Jules en 1870, puis par le seul Edmond, qui s’éteint en 1896.
C’est ce dernier qui a créé le prix littéraire portant leur nom, doté grâce à la vente de ses biens et notamment de leur riche collection d’art. Dans leur « Journal » les frères Goncourt évoquent les figures de nombreux auteurs de l’époque : Flaubert, Théophile Gautier, Sainte-Beuve…Ils fréquentaient régulièrement le salon littéraire de la princesse Mathilde Bonaparte.
Couverture L'art du dix-huitième siècle, Edmond et Jules de Goncourt, gravé à l'eau-forte par Bracquemond, 1875, ed. E. DENTU, Palais-Royal, Galerie d'Orléans, Parsi, 1860, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Lundi 16 novembre. – […] Elle [la princesse Mathilde] se lève tout à coup et quoiqu’il giboule au- dehors, elle me parle dans le vent et la pluie d’aller passer quinze jours à Nice, de voir, en famille d’amis, ce pays de fleurs et ce ciel bleu pendant l’hiver.
Journal des Goncourt, Mémoires de la vie littéraire 1866 – 1886
Hiver à Nice, affiche d’après Emmanuel BRUN, 1892, Nice, Musée Masséna
Lettre XII – Lettre I
30 juin 1850, Nice
Me voilà encore une fois à Nice si chaude, si aromatique, si calme et maintenant complètement déserte.
…Il y a deux ans et demi, j’avais entrevu Nice, je cherchais alors des hommes, les grands centres de mouvement, d’activité ; beaucoup de choses étaient neuves pour moi, m’attiraient, me préoccupaient. Plein d’indignation, je pouvais encore me réconcilier. Plein de doutes, je trouvais encore des espérances au fond de mon cœur. Je me hâtai de quitter la petite ville ayant à peine jeté un coup d’œil distrait sur ses environs si pittoresques. Le bruit solennel del Risorgimento se répandait par toute la péninsule…Je ne pensai qu’à m’arracher au plus vite de Nice pour aller à Rome.
C’était vers la fin de 1847…Maintenant je reviens à Nice, la tête baissée comme le pigeon voyageur de la fable, ne cherchant qu’un peu de repos. Maintenant je m’éloigne des grandes cités, je fuis leur activité incessante, qui ne produit rien de plus en Occident que le désœuvrement nonchalant en Orient.
Après avoir cherché longtemps où m’abriter, j’ai choisi Nice, non seulement pour son air si doux, pour sa mer si bleue, mais aussi parce qu’elle n’a aucune signification politique, scientifique… ou autre.
Je répugnais moins à aller à Nice que partout ailleurs. C’était comme un couvent tranquille dans lequel je pensais me retirer du monde.
Correspondance 1871
Alexandre Ivanovitch Herzen est né le 25 mars 1812 à Moscou et mort le 9 janvier 1870 à Paris. Écrivain, philosophe et essayiste politique il est considéré comme le père du socialisme populiste russe, notamment pour son roman « Kolokol », (la cloche).
Il a reçu une éducation classique, principalement dispensée en français, avant de fréquenter l’Université de Moscou à partir de 1830. Il sera arrêté une première fois en 1834 en raison de ses activités politiques. Il s’exile à Paris avec son épouse Nathalie en 1847. Après l’échec de la révolution de 1848, il s’établit à Nice en faisant de fréquents voyages à Genève et Paris. Il s’installera à Londres en 1852, mais reviendra à Nice en 1865 et en 1869 sur la tombe de sa mère, et de son fils, disparus lors d’un naufrage au large des îles de Lérins en 1852, ainsi que de son épouse Nathalie décédée peu après à Nice. Il a publié de nombreux ouvrages mais c’est surtout dans sa correspondance, publiée à Genève en 1871, qu’il évoque Nice.
Signature de A. Herzen, from Autograph, article of Great Soviet Encyclopedia, 1st edition
7 juin 1837, Viatka (Russie)
Écoute-moi. Quand tu seras mienne, quand je pourrai disposer de ma vie, nous commencerons par cela : nous partirons en Italie – non, pas une grande ville, mais dans une ville modeste, à Nice ou quelque part en Sicile, ou même dans un village, mais au bord de la mer ; la mer m’est indispensable, c’est le triomphe de nature – l’auguste fanfare. Là nous vivrons une ou deux années, sans personne, bercés par les vagues de la mer et par l’air chaud, nous y prendrons du repos, nous y serons heureux. Oh Natacha, nous y serons bénis ; l’amour, seul l’amour occupera ce temps – la poussière s’effacera de nos âmes, les blessures profondes se refermeront…
Carl Christian Philipp REICHEL, portrait de Natalia_Alexandrovna_Zakharyina-Herzen - скан, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16166708
Nice n’est belle que par ses environs. Nice n’est pas du tout une ville italienne, c’est une ville française de province. Nice vit aux dépens des étrangers malades. Je ne pus trouver le Journal des Débats, défendu par les jésuites, ni un seul Journal de Toscane défendu par le roi. Il manquait aussi à Nice l’eau dans la rivière ; rien ne coulait sous le pont. Des Anglais poitrinaires et des Anglaises à la moelle épinière endommagée, forment le gros de la population de Nice. On peut encore y vivre par dépit et pour narguer l’Europe entière, comme faisait ce sergent octogénaire qui, mécontent de la Convention, boudait la France… À Nice je rencontrai tout le bon de midi, à Gênes, l’Italie.
Le 27 juin 1850. Nice
Jamais de ma vie je n’ai senti un tel bien-être climatologique comme ici ; même la chaleur n’y fait rien. Nous avons des appartements très vastes, nous nous déshabillons, au lieu de nous habiller, nous nous baignons dans l’eau et dans l’air du soir embaumé, doux - et au diable ces beautés féroces de la Suisse, ces monuments du régime de la terreur géologique. Pour aucun prix je ne monte plus au nord, mais je descends volontairement jusqu’au Basilicate si tu veux, - au reste, le Piémont est très habitable ; je trouve beaucoup de changement, beaucoup plus de douceur gouvernementale qu’en 47 et plus de ressources. Somme générale, je suis tout à fait content d’avoir quitté Paris – ce cancer général de l’Europe – et d’avoir fait ce choix et non un autre.
L’été on peut vivre sans argent. Emma payait assez cher avant nous, à présent l’hôte (dont la maison est complètement vide) consent de prendre 10 Fr. ou 12 par jour – chambres, nourriture, bonne – et tout compris, et sans augmenter quand tu viendras. Nous pouvons rester un mois ou deux à l’hôtel. Et ensuite louer une maison près de la mer. Il y en a une quantité…
Nice. Vue d’une fenêtre de la Maison Douis, où la famille d’Herzen habitait en 1851-1852, dessin au crayon de Natalie Herzen, 1851, Collection du Musée historique, Moscou
2 février 1851, Nice
Je suis heureux de vivre dans un tel coin perdu comme Nice.
Quand l’âme porte en soi une grande tristesse, quand l’homme ne s’est pas réconcilié avec lui-même pour se réconcilier avec son passé… il a besoin de vues lointaines, de montagnes, de la mer et de l’air chaud et paisible. Il en a besoin pour que la tristesse ne se transforme pas en exacerbation, en désespoir. Un bon pays est plus important que les gens bons. Les gens sont prêts à compatir, mais la plupart ne savent pas le faire ; leur compassion aggrave les souffrances, ils sont maladroits…
Il est dommage que je n’écrive pas de poésie. Pour parler de cette région, on a besoins de rythme, tout comme on a besoin de la mer qui, par ses pas cadencés, clapote dans une corniche décorée d’Italie…
1er août (20 juillet) 1852, Fribourg
Je désire qu’après mon décès mon corps soit transporté à Nice et enterré au cimetière des non catholiques, à côté de la tombe de ma femme. Là, on élèvera un monument funèbre commun pour ma mère et mon fils péris dans un naufrage, pour ma femme et pour moi.
Correspondance 1871
Sépulture d'Alexandre Herzen, Cimetière du Château, Nice, œuvre du sculpteur Parmen Petrovitch Zabello, bronze réalisé par les Fonderies du Val d’Osne, Mullerdidier, CC BY-SA 4.0
via Wikimedia Commons
C’est en effet, une impression étrange et charmante que celle qu’on éprouve, lorsqu’on entre pour la première fois dans ce doux pays, à voir s’épanouir, sans culture, à l’état sauvage, sur le penchant des collines, les plus belles anémones et les tulipes si soigneusement cultivés dans nos jardins…
Lettre à Léon Gatayes (dans Les hivers de Nice 1864)
Jean Baptiste Alphonse Karr est né à Paris le 24 novembre 1808 et mort à Saint-Raphaël le 30 septembre 1890. Son père musicien était d’origine bavaroise et sa mère française.
Après des études au collège Bourbon à Paris, il devient dans ce même établissement professeur suppléant. En 1834, il publie son premier roman, « Sous les tilleuls ». Il collabore à de nombreuses publications : Le Figaro, dont il sera rédacteur en chef de 1836 à 1838, le Revue de Paris, La Presse, Le Siècle et publie sa propre revue satirique « Les Guêpes ».
Il soutient la révolution de 1848 et se présente – sans succès – à la députation. L’arrivée au pouvoir de Napoléon III le conduit à s’exiler à Nice, alors situé dans les États du Piémont Sardaigne. De 1853 à 1867, il exercera à Nice une activité de jardinier et de fleuriste, ayant acquis une propriété agricole dans le quartier de Saint Etienne et une boutique de fleuriste, au 8 place du jardin public, fréquentée par les hivernants. Il publie en même temps plusieurs romans et nouvelles et reçoit de nombreuses personnalités des arts et de la littérature. En 1865, il s’installe à Saint Raphaël où il demeure jusqu’à la fin de sa vie.
[…] Pour donner une juste idée du climat de Nice, il faut entrer dans les jardins pour juger ce point qui résume nettement la température moyenne de cet heureux coin de terre : « Nice est une serre tempérée », rien de moins, rien de plus.
[…] Il faut absolument que je donne une liste de la grande partie des végétaux de serre que nous cultivons en plein air à Nice. C’est intéressant pour les jardiniers, les botanistes et pour les amoureux des fleurs.
[…] Et non seulement ces plantes vivent à l’air libre, mais elles y végètent avec une vigueur dont les serres ne peuvent donner une idée. Ainsi, de hautes murailles sont fréquemment tapissées de Géranium de plusieurs variétés, dont on fait également des tonnelles. J’ai dans mon jardin un Tacsonia-Mollissima dont les guirlandes de fleurs roses retombent du haut d’un olivier de vingt mètres dans lequel il lui a plu de grimper.
Caricature d'Alphonse Karr, Frédérick, photographe, avant 1890, Paris, PH52228, Musée Carnavalet, Histoire de Paris
[…] Les giroflées, qui passent l’hiver en pleine terre, vivent cinq ou six ans et deviennent énormes ; j’en ai vu s’élever à plus de cinq pieds. Toute la tribu variée des rosiers des Indes (Rosiers-Thé) y prend également des proportions inusitées et y fleurit pendant six mois de l’année pour le moins.
Lettre à Léon Gatayes (dans Les hivers de Nice 1864)
Jean-Baptiste BARLA, Giroflée jaune, 2e quart XIXe siècle, planche aquarellée, Nice, Muséum d’Histoire naturelle
[…] Nice t’a donc prêté le bord de ses corniches
Pour te faire au soleil le nid d’algue où tu niches ;
C’est donc là que se mêle au bruit des flots dormants
Le bruit rêveur et gai de tes gazouillements !
Oh ! que ne puis-je, hélas ! de plus près les entendre !
Oh ! que la liberté lente se fait attendre !
Quand pourrai-je, à ce monde ayant payé rançon,
Suspendre comme toi ma veste à ton buisson […].
Lettre à Alphonse Karr, jardinier (1857)
Né le 21 octobre 1790 à Mâcon et mort le 28 février 1869 à Paris. Homme politique et historien, il est surtout connu comme poète, figure célèbre du romantisme français.
Après ses études au collège à Lyon, il voyage en Italie et publie en 1820 son premier recueil de poèmes, « Méditations » ; rapidement d’autres ouvrages ont suivi, qui lui vaudront d’être élu à l’Académie française en 1829.
En 1830, il entame une carrière politique dans le contexte de la monarchie de Louis-Philippe. Il sera élu député en 1833. S’étant rapproché de la gauche, il joue un rôle important lors de la révolution de 1848 et devient ministre des Affaires étrangères de la deuxième République.
Sa candidature à la présidence de la République face à Louis-Napoléon Bonaparte en 1848 sera un échec. Cela marque un tournant négatif dans sa vie : lourdement endetté, il écrira principalement des œuvres alimentaires. Il demeure toutefois un représentant phare de la poésie romantique française, « chant de l’âme », inspirée par l’amour, le sentiment de la nature et du temps qui passe.
G. HAGEMANN, La maison d’Alphonse Karr à Nice, sans Le Monde illustré, gravure, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
Il faut à tout beau soir son jardin des Olives !
N’est-il pas sur le bord du champ que tu cultives,
Parmi les citronniers, les cyprès et les buis,
Un maigre champ portant sa maison et son puits ?
Le figuier, tronc qui vit et qui meurt avec l’homme,
N’y fait-il pas briller sa figue en pleurs de gomme ?
N’y pend-il pas aux murs ses rameaux tortueux
Comme pour subsister ou crouler avec eux ?
Vingt ou trente oliviers, à l’ombre diaphane,
N’y sont-ils pas penchés par la corde de l’âne ?
Sur l’écorce en lambeaux de leurs tronc écaillés
N’y voit-on pas courir les lézards éveillés ?
[…] S’il est près de ta mer une telle colline
Ami ! pour mon hiver, retiens la plus voisine.
Janet LANGE, Dépôt de fleurs d’Alphonse Karr au Jardin public de Nice, gravure d’après un croquis de J. Guiaud, 1859, Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole
On dit que d’écrivain tu t’es fait jardinier ;
Que ton âne au marché porte un double panier ;
Qu’en un carré de fleurs ta vie a jeté l’ancre
Et que tu vis de thym au lieu de vivre d’encre ?
On dit que d’Albion la vierge au front vermeil,
Qui vient comme à Baïa fleurir à ton soleil,
Achetant tes primeurs de la rosée écloses,
Trouve plus de velours et d’haleine à tes roses ?
Je le crois ; dans le miel plante et goût ne sont qu’un,
L’esprit du jardinier parfume le parfum !
[…] Les regretterais-tu ? Pour bêcher plus à l’aise,
Il fait bien moins du vent au pied de la falaise ;
Heureux qui du gros temps, où sombra son bateau,
A sauvé comme toi sa bêche et son râteau !
Quand l’homme se resserre à sa juste mesure,
Un coin d’ombre pour lui, c’est toute la nature ;
L’orateur du forum, le poète badin,
Horace et Cicéron, qu’aimaient-il ? Un jardin :
L’un à Tibur trempé des grottes de Neptune,
L’autre son Tusculum plein d’échos de tribune.
Un jardin qu’en cent pas l’homme peut parcourir,
Va ! c’est assez pour vivre et même pour mourir !
Lettre à Alphonse Karr, jardinier (1857)
Me voici revenu à Nice, c’est-à-dire à la maison. […] J’entends sonner dans l’air quelque chose de vainqueur, une voix qui me donne confiance et me dit : « ici, tu es à ta place ».
[…] Bien des endroits cachés, bien des hauteurs des environs de Nice sont pour moi sanctifiés par d’inoubliables instants.
Ecce homo (1908)
Nice est le premier endroit qui fasse visiblement du bien à ma tête (et même à mes yeux) et j’enrage d’avoir été éclairé si tard sur ce point.
Lettre à Malwida von Meysenburg (1884)
Philosophe et philologue allemand né à Röcken (Prusse) en 1844 et mort le 25 août à Weimar. Son œuvre a exercé une grande influence sur la philosophie au XXe siècle. Avec Marx et Freud, il y est l’initiateur des philosophies du soupçon qui remettent en question le primat de la conscience.
Élève brillant, il fait ses études au collège de Pforta (Saxe) puis à l’université de Bonn et enfin à Leipzig en philologie (langues anciennes). Il s’enthousiasme pour la musique de Wagner.
En 1869, à 24 ans, il est nommé professeur de philologie à l’Université de Bâle où il se lie d’amitiés avec Richard Wagner et l’historien suisse Jacob Burckhardt.
Tombé malade en 1875, il doit quitter son poste de professeur et obtient une pension. À partir de là, il mènera une vie d’errance entre la Suisse (Engadine), l’Italie, (Gênes, Rapallo, Turin) et la France (Nice).
Pendant cette période, il écrit ses principaux ouvrages : « La naissance de la tragédie » ; « Considérations inactuelles » ; « Humain, trop humain » ; « Le gai savoir » ; « Ainsi parlait Zarathoustra » ; « Par-delà le bien et le mal » ; « La généalogie de la morale » et, à titre posthume, « Ecce homo ».
En 1889, alors qu’il séjourne à Turin, il est pris d’une crise de délire. Après un premier séjour dans un asile d’aliénés à Bâle, son état mental ne cessera de se dégrader jusqu’à sa mort en 1900.
Plaque commémorative du premier séjour de Friedrich Nietzsche à Nice (1883), 38, rue Catherine Ségurane, Photo Ville de Nice
Ah cher, cher ami, je reçois votre carte à l’instant même, elle me donne des tardifs regrets ! – notamment celui d’avoir quitté Gênes et après de longues hésitations, de m’être établi depuis avant-hier à Nice, pour tout l’hiver ! 220 jours parfaitement sereins dans l’année ont fini par me décider : cette magnifique plénitude de lumière a sur moi, mortel très supplicié (et souvent si désireux de mourir), une action quasi miraculeuse. J’aurai ici pour les six mois d’hiver presque autant de jours ensoleillés qu’à Gênes durant l’année entière. Ce pour quoi j’ai dit adieu à la chère ville de Colomb – elle ne fut jamais autre chose pour moi et tout à la fin elle était d’une beauté émouvante dans sa splendeur d’octobre.
La partie française de Nice m’est insupportable et forme presque une tache dans cette splendeur méridionale ; mais il y a, en outre, une ville italienne – c’est là, dans les quartiers les plus anciens, que j’ai loué, et lorsqu’on est obligé de parler, c’est en italien : on y est comme dans une banlieue de Gênes.
Ami, je sais quelque chose que je ne veux pas vous celer. Une dame allemande voudrait prendre des pensionnaires dans une villa nouvellement aménagée (aménagée au mieux et chaudement, je peux l’attester) ; et comme elle ne fait que de commencer, ses prix de début pour cet hiver sont d’une incroyable modicité (90 francs le gîte et la nourriture). Ce n’est pas près de chez moi, mais à une petite demi-lieue ; la Promenade des Anglais presque tout entière m’en sépare. Mais à supposer que vous consentiez à y loger, cette dernière considération peut-être même un avantage pour vous. Moi-même, je paye 25 francs de loyer mensuel ; il y a aussi des restaurants bon marché, dans le genre de votre Panada et des Bouillons Duval de Paris : on vit mieux ici qu’à Gênes. Vin à très bon marché.
Cette villa est calme, dans un jardin ; il y a de belles promenades toutes proches, à faire dans les collines. La mer à une dizaine de minutes.
À Heinrich Köselitz à Venise [1883)
Les choses se sont un peu améliorées dans l’intervalle, mais j’ai au moins décidé de passer l’hiver à Nice. La ville élégante et bruyante m’a déplu au premier abord ; mais, finalement, j’y ai trouvé bien des aspects qui comptent pour moi – des chemins tranquilles et des quartiers italiens, une nourriture meilleure qu’à Gênes et, pour un modeste prince comme moi, au total les anciens prix de Gênes. C’est une grande ville où l’on peut avoir ce que l’on veut – elle est pour cela trop fraîche et trop ventée, tout en ayant au même degré cette abondance de lumière et ce grand nombre de journées de ciel pur que ces hospices où je n’aimerai pas être pendu.
À Franziska et Elisabeth Nietzsche à Naumburg (1883)
Jusqu’ici, je considère que le climat de Nice est le seul qui me convienne ; Gênes a été une grande erreur et Santa Margherita une erreur qui a mis ma vie en péril. D’un autre côté, Nice me répugne, c’est une caricature de Paris et une demi-grande ville qui a des prétentions ; elle manque de forêts, d’ombre, de calme dans une mesure à peine croyable. Si j’étais riche, je vivrais déjà ailleurs sur la Riviera ; mais, comparativement, la vie ici est pour moi ce qu’il y a de meilleur marché, parce que c’est la plus grande ville.
Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tout le monde et personne, SOCIÉTÉ DV MERCURE DE France XV, RVB DE L'ÉCHAVDÉ-SAINT-SKRMAIN, XV, Leipzig, C. G. Naumann, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
[…] Le moment approche maintenant où je vais quitter Nice : j’attends seulement les premiers exemplaires de mon Zarathoustra. J’espère qu’ils vont arriver, mais il est également possible que je sois cloîtré encore un mois ici, comme l’année dernière. Entre nous, j’espère la faillite de Schmeitzner. Où iront alors nos livres !
Pour l’hiver prochain, je suis déjà pratiquement certain de retrouver si possible la même maison et la même chambre. Peut-être réussirai-je à rassembler autour de moi une société où je ne serai plus tout à fait l’ « homme caché ». Le climat du littoral provençal convient tout à fait merveilleusement à ma nature ; je n’aurais pas pu composer les derniers versets de mon Zarathoustra ailleurs que sur cette côte, dans la patrie de la « gaya scienza ».
Lettre à Franz Overbeck à Bâle (1884)
Peut-être la nouvelle de notre tremblement de terre vous a-t-elle inquiété ? Voici un mot qui vous dira du moins ce qu’il en est de moi. La ville regorge de gens dont le système nerveux est ébranlé, la panique dans les hôtels est à peine concevable. Cette nuit, vers deux ou trois heures, j’ai fait un tour et visité quelques personnes amies qui, en plein air, sur des bancs ou dans des fiacres croyaient se préserver du péril. Pour moi, je vais bien. Absence complète de frayeur et même, pas mal d’ironie.
Lettre à Peter Gast (1887)
Et nos chers Allemands ! En Allemagne, bien que je sois dans ma quarante-cinquième année, et que j’ai publié environ quinze ouvrages (et, parmi eux, ce nec plus ultra, mon Zarathoustra), pas un seul de mes livres n’a été soumis à une seule discussion, fût-elle de médiocre intérêt.
On s’en tire à présent avec des mots, « excentrique », « pathologique » « psychiatrique ». On ne s’en prive pas de me vilipender et de me calomnier ; dans les revues, savantes ou non, le ton est ouvertement hostile mais d’où vient que jamais personne ne proteste là contre ? Que jamais personne ne se sente blessé, lorsque je suis outragé ? Et pendant des années durant aucun réconfort, pas une goutte d’humanité, pas un souffle d’amour.
Dans de telles conditions, il faut vivre à Nice. Cette fois encore, oisifs, Grecs et autres philosophes y pullulent, « mes semblables » y pullulent ; et Dieu, avec son cynisme habituel, fait qu’au-dessus de nous, son soleil brille plus beau qu’au-dessus de l’Europe tellement plus considérable de M. Bismarck (celle qui travaille à son armement avec une vertu pleine de fièvre et dont le point de vue est très exactement celui d’un porc-épic d’humeur héroïque). Les jours arrivent ici avec une beauté impudente ; il n’y eut jamais d’hiver plus accompli. Et ces couleurs de Nice : je voudrais te les envoyer.
Vue depuis la Terrasse Nietzsche, Colline du Château à Nice, Photo Ville de Nice
Toutes ces couleurs tamisées par une lumière gris-argent ; teintes spirituelles, spiritualisées ; plus aucune trace de la brutalité ces couleurs fondamentales. La supériorité de ce petit bout de côte, entre Alassio et Nice, est son consentement à l’africanisme, dans les couleurs, la végétation, la sécheresse de l’air : cela n’arrive pas dans le reste de l’Europe !
Lettre à Reinhardt von Seydlitz (1888)